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d’aller chercher au bord de la mer un peu de repos et de santé. Voilà comment il répond à ceux qui reprochaient aux disciples du Christ de s’isoler du reste des hommes, d’être insociables et inutiles, et de se mettre eux-mêmes en dehors de l’humanité !

Il est aisé de voir ce qu’il pense de la littérature de son pays, quoiqu’il n’ait pas pris la peine de le dire. Il en est nourri et ne chercheras à le dissimuler : c’est un élève des anciens qui se fait honneur de ses maîtres ; loin qu’il ressemble jamais à ces littérateurs honteux, qui affectent de paraître des ignorans, on voit qu’il est heureux de bien parler, peut-être même le laisse-t-il un peu trop voir. Sa phrase est brillante et quelquefois brillantée ; il balance sa période avec trop de soin, il a trop d’esprit dans ses épithètes, il ne se tient pas assez en garde contre le précieux et le maniéré. En un mot, c’est un contemporain d’Apulée et de Fronton, qui professe des doctrines très différentes, mais qui, pour le style, est de leur école. Peut-être n’y avait-il pas d’autre moyen-de plaire à cette société de beaux esprits prétentieux : Minucius a parlé leur langue pour se faire écouter d’eux. Il a beaucoup lu Sénèque et l’imite volontiers. Son petit livre est plein de passages qui nous font penser aux plus beaux endroits des lettres à Lucilius. Il est grand admirateur de Cicéron, auquel l. emprunte le plan même de son ouvrage[1] comme lui, il veut rendre la vérité attrayante et se plaît à esquisser un charmant paysage pour y placer son entretien. Le grand seigneur républicain aimait à se représenter avec ses nobles amis discutant des questions de morale sous les majestueux ombrages de ses belles villas de Tusculum ou de Formies ; le petit avocat de Rome a choisi les bords de la mer et ces larges horizons d’Ostie qui devaient fournir plus tard à saint Augustin l’une, des plus belles scènes de ses Confessions. Quand on lit ce charmant ouvrage, qui par les Tusculanes remonte jusqu’au Phèdre, et semble éclairé d’un rayon de la Grèce y on voit, bien que l’auteur imaginait une sorte de christianisme souriant et sympathique, qui devait pénétrer dans Rome sans faire de bruit et la renouveler sans secousse, qui serait heureux de garder de cette société brillante ce qui méritait d’en survivre, qui n’éprouverait : pas le besoin de proscrire les lettres et les arts, mais les emploierait à son usage et les. sanctifierait en s’en servant, qui respecterait, enfin les dehors de cette vieille civilisation en faisant circuler en elle la sève de l’esprit nouveau. Tel était sans doute le rêve que formait Minucius, et avec lui tous ces lettrés incorrigibles qui s’étaient laissé toucher par la

  1. M. Ebert a montré que l’Octavius était composé sur la modèle du De Natura deorum de Cicéron. Voyez Geschichte der christlich-lateinischen Literatur, p. 27.