Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/777

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’abominable odeur d’huile d’apocale dont l’air était imprégné. L’apocale est le requin des mers glaciales, on le prend avec des émérillons[1] par des profondeurs de 500 à 600 mètres. Les Danois et quelquefois des navires norvégiens et suédois se livrent à cette pêche, qui donne des bénéfices considérables. En faisant bouillir le foie et les viscères de l’animal, on obtient une huile très recherchée dans l’industrie pour la fabrication des savons ; avec la peau, les Islandais confectionnent des sandales imperméables très souples et très légères. On tire enfin un grand parti de ce squale glacial, mais l’odeur nauséabonde, à la fois forte et écœurante, qui se dégage des cuves de pierre dans lesquelles bouillent ses entrailles rend parfois le séjour de certains mouillages tout à fait insupportable.

Une grande partie des fiords que l’on rencontre sur la côte d’Islande n’est point fréquentée par les navires. On n’y trouve le plus souvent que les canots islandais montés par trois ou quatre hommes qui viennent mouiller ou relever les lignes de fond avec lesquelles ils prennent la morue. Lorsque le poisson est rare dans les baies, ils vont les tendre à plusieurs milles de la côte en ayant soin de ne pas s’exposer à être pris par de gros temps auxquels leurs frêles embarcations ne pourraient résister. Chaque pêcheur islandais prend ainsi à la ligne une centaine de belles morues chaque jour. Ils n’emploient le filet que pour la truite ou le saumon dans les lacs et dans les rivières.

Après avoir croisé pendant quelques heures, en sortant d’Onun-dar-Fiord, au milieu des navires de pêche, nous entrâmes dans Lyse-Fiord. Sur les deux côtés de ce golfe spacieux se trouvent de nombreux mouillages, sortes de fiords intérieurs très fréquentés par les pêcheurs d’apocales. C’est dans Scutul-Fiord, le quatrième de la côte sud, que nous vînmes jeter l’ancre devant le village d’Iza-Fiord, composé d’une cinquantaine de maisons danoises en bois peint. C’était, après Reikiavik, le centre le plus populeux que nous eussions encore visité. Cette agglomération de maisons aux couleurs vives sur cette étroite langue de sable avait quelque chose de gai et d’animé qui nous reposait un peu de la sévérité et de la solitude des fiords précédens. On trouve à Iza-Fiord des magasins danois bien approvisionnés, une église et malheureusement aussi des fabriques d’huile d’apocale avec leur repoussante odeur. Après nous être assurés qu’aucun navire français ne se trouvait en relâche dans les baies avoisinantes, nous reprîmes notre croisière au large ; puis, contournant à grande distance le Cap-Nord, limite septentrionale de la côte ouest, nous nous dirigeâmes vers Akurere, la seconde capitale de l’Islande.

  1. Crocs en fer avec lesquels on pêche le requin.