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qu’on la monterait quelque part. « Vous jouez du violon, monsieur le duc ? — Je dois en jouer, quoique, à vrai dire, je n’aie jamais essayé ! » L’auteur de ce singulier pastiche d’Hamlet, lui non plus, n’avait point essayé. Il en eut fort regret, se mit à l’œuvre, et a c’est ainsi que les deux noms de Shakspeare et de Beethoven figurent au début de la carrière du maître[1]. » Sereine et sainte simplicité d’un biographe toujours prêt à s’écrier : Ominös ! à propos des moindres circonstances. Remarquons que les augures ici s’offrent d’eux-mêmes ; poète manqué, musicien par occasion, comédien de race, vous avez là tout l’homme et tout l’artiste.

Allons au fond des mots : qu’est-ce à la fin que ce pruritus inveniendi qui nous pousse à prendre pour des réformes des nouveautés qui depuis un siècle appartiennent au domaine public ? Redresser le récitatif et la mélodie, déblayer le sol dramatique, couper court aux vaines efflorescences, Gluck n’avait pas d’autre programme ; mais ce qui suffisait à l’auteur d’Iphigénie et d’Armide ne nous contente pas, et nous voulons en plus la mélodie continue, la mélodie exprimant non-seulement une situation, mais le mot même qui l’engendre et qu’elle a pour devoir d’exprimer, — système archifaux, système absurde, et dont le moindre tort est de vouloir confondre en un tout des choses faites pour vivre chacune de sa vie particulière et se développer selon sa propre nature et ses propres fins. La musique est un art, et la poésie en est un autre, ce qui ne veut point dire que ces deux arts parfaitement distincts ne doivent pas se rapprocher : toute belle musique a sa poésie, comme toute belle poésie a son harmonie, son rhythme, sa musique ; mais chacun des deux arts garde à part soi ses moyens techniques, qu’il se réserve d’employer en temps et lieu. Tel mot change de signification autant de fois qu’on le prononce ; il y a la poésie d’un clair de lune, la poésie d’un tableau, la poésie d’un opéra, et toutes ces poésies n’ont rien à faire avec la poésie d’une méditation de Lamartine ou d’une ode de Victor Hugo. Est-ce que par hasard Schiller et Goethe en créant leur théâtre s’imaginaient tailler de la besogne aux musiciens de l’avenir ? Et d’autre part Haydn, Mozart et Beethoven écrivant des sonates et des quatuors, où tant de poésie est contenue, pensaient-ils à faire autre chose que de la musique ? Goethe fronçait le sourcil à la seule idée de voir son Faust mis en opéra, et encore n’était-il question alors que d’imitations lointaines dans le genre du Faust de Spohr, d’élucubrations inoffensives et n’essayant pas d’atteindre son chef-d’œuvre au cœur même de son identité. Ce qu’il y a de pire dans le Faust de M. Gounod, c’est de se substituer dans la mémoire du public au Faust de Goethe, et de

  1. The Music of the Future, p. 37.