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l’administration, créant pour cela les vice-royautés du Pérou et de la Plata et le royaume du Chili, tous appuyés sur des frontières naturelles aussi précises que pouvait le permettre l’état de la science géographique. Les nouveaux états, sortant du mouvement de 1810, agissaient prudemment en se constituant sur cet unique principe des divisions naturelles. C’eût été même une politique sage et en tout point digne de la loi fondamentale de ces républiques que de se faire dès le but de mutuelles concessions de territoire qui en réalité constituaient alors un sacrifice bien mince. Malheureusement ils convinrent d’adopter en principe l’uti possidetis de 1810, date fort mal choisie, car elle ne répondait à aucun fait politique général. En 1810, la république argentine seule s’était déclarée indépendante ; seul le vice-roi de la Plata avait été renversé, et la révolution contre l’Espagne était loin d’être générale ; bien loin même d’être appuyée au Chili ou en Bolivie, elle y était repoussée par la majorité des nationaux ; au Pérou, personne ne l’acceptait, et ce ne fut que l’arrivée de l’armée victorieuse du général San-Martin qui put y décider les Liméens en 1817. L’uti possidetis de 1810 n’a donc aucune base sûre. On ne pouvait pas davantage appliquer le principe, depuis si célèbre, des nationalités, et consulter des peuples qui tous, si l’on considérait les conquérans, avaient la même origine, et, si l’on se tournait vers les premiers habitans, étaient tellement nomades qu’ils ne semblaient pour ainsi dire pas attachés au sol. La simple raison indiquait qu’il ne fallait songer à autre chose qu’à appuyer les peuples nouvellement nationalisés sur les grandes limites naturelles. Pour ne l’avoir pas fait, on a donné naissance aux querelles modernes, devenues plus graves avec le temps et à mesure que chaque pays, se développant séparément, devait rechercher des avantages particuliers ; mais l’impossibilité de s’occuper de questions internationales quand les complications intérieures étaient déjà si nombreuses, l’ignorance où l’on était de la configuration de grands déserts qui séparaient ces états, le peu d’importance que l’on attachait à la possession de ces territoires, ont causé cet oubli et créé les embarras actuels.

Chaque jour la nécessité d’une solution s’impose davantage, et le pays qui se voit obligé de la réclamer avec plus d’ardeur, parce que les questions pendantes mettent en suspens son progrès et sa vie intérieure, parce qu’il est le centre des convoitises et le pivot de toutes les difficultés, est la république argentine. Bien loin de songer à réclamer comme sienne la totalité des territoires de la vice-royauté de la Plata qu’elle a remplacée, elle a dès longtemps abandonné une grande partie de ces possessions aux républiques du Paraguay, de la Bolivie et de l’Uruguay, tronçons détachés de