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français ! l’empire sort tout armé d’une révolution qui a préparé sans le vouloir la restauration napoléonienne. Cette fois tout est encore changé : la France rentre pour longtemps dans le repos sous un régime inauguré par la captation et la force. Elle a son 18 brumaire accompli par un prince taciturne, chimérique et à demi lettré. A défaut des agitations publiques violemment refoulées dans l’ombre et même de la liberté parlementaire emportée dans l’orage, autour de la tribune désormais voilée et silencieuse, un mouvement réel de l’esprit et de l’imagination va-t-il du moins renaître ? La littérature Va-t-elle se renouveler, se raviver à ses sources, retrouver sa sève et son éclat au sein d’une société apaisée, contenue, qui n’a plus pour l’occuper ou pour la distraire les diversions de la rue, des luttes de partis et des crises ministérielles ? C’est une illusion de croire que les pouvoirs absolus ont cette faculté de réparation morale et intellectuelle à volonté. Ces pouvoirs se figurent qu’en comprimant, en réglementant et en dorant au besoin la servitude, ils peuvent susciter dans un ordre inoffensif les forces intelligentes d’une nation : ils se trompent, tout se tient dans la vie des peuples, dans la vie moderne bien plus encore qu’autrefois, et lorsque la liberté disparaît dans la politique, c’est un appauvrissement ou une diminution dans toutes les régions de l’intelligence humaine.

Le second empire n’a imaginé rien de nouveau, si ce n’est peut-être des perfectionnemens ou des raffinemens de réaction. Il n’a ni relevé les idées ni redressé les directions morales du temps. Il s’est préoccupé de vivre, de durer, en prenant la société telle qu’elle était, avec ses intérêts, ses faiblesses et ses vices, et en la dominant par les uns et les autres. Il a surtout fait deux choses caractéristiques qui résument son système dans les affaires de l’esprit. Il a donné à la littérature la paix sans l’indépendance, en lui mesurant la vie et la sécurité par une répression savamment organisée, en lui rendant difficile sinon impossible toute discussion politique, toute dissidence, toute velléité d’aspirations libérales, et en compensation de cette liberté perdue il lui a offert comme un tentateur la liberté des études inoffensives, de l’industrie intellectuelle et des frivolités. De là le caractère de ce mouvement surveillé avec une sévérité jalouse dans ce qu’il avait de sérieux, aisément toléré ou encouragé dans ce qui ne pouvait troubler le règne. Une société pensant peu, s’occupant d’économie publique, d’intérêts matériels ou de réformes populaires et s’amusant de lectures faciles, c’était l’idéal d’un régime réunissant les susceptibilités méticuleuses du pouvoir absolu et certains instincts de démocratie.

Assurément je ne veux pas dire que cette ère impériale, qui a fini par un si prodigieux désastre et dont on traçait le bilan avant