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qu’on le voulait bien. Si cette littérature vivait, si elle avait du succès, c’est qu’elle avait la société elle-même pour complice. Si les petits journaux prospéraient, c’est qu’ils avaient des lecteurs, c’est qu’ils amusaient Paris et la province sans compter l’étranger. Je ne m’inscris pas en faux, quoiqu’il y eût peut-être beaucoup à dire sur le degré de complicité de la France elle-même. Convenez seulement qu’il y a des coïncidences tragiques, qu’on peut se donner l’amère satisfaction de saisir sur le fait l’ironie des choses humaines en voyant le succès de la Grande-Duchesse à la veille de la guerre de 1870, le succès des petits journaux amusans, pour ne pas dire conservateurs, d’où sont sortis cependant Rochefort, Grousset, Jules Vallès ! — La vérité est que depuis longtemps, de bien des façons, par bien des causes où l’empire a eu la part la plus directe au dernier moment, mais qui sont aussi plus générales, la vie intellectuelle de la France était atteinte dans son principe, dans son intégrité, dans sa dignité ; elle était entamée ou menacée par l’abus des sophismes démocratiques, par l’invasion de toutes les fantaisies dans l’histoire ou dans la philosophie, par l’irruption de la médiocrité bruyante et vaniteuse, par la confusion des idées aussi bien que par l’altération de la langue, par l’assimilation des lettres à une industrie, et surtout par un vice que j’ai déjà signalé, que je veux signaler encore : l’affaiblissement de la sincérité, du sens moral de la vérité.

Eh bien ! tout est accompli maintenant. Si la société a été la complice de ceux qui la diffamaient et de ceux qui spéculaient sur ses curiosités ou ses futilités, si elle a eu le tort de trop se laisser aller aux sophistes ou aux corrupteurs badins, ou à ceux qui prétendaient l’éblouir par les richesses, l’assoupir dans les jouissances matérielles, elle a subi l’expiation : la France a payé ! La catastrophe a marqué la page douloureuse de notre histoire, elle a ouvert un abîme entre la veille et le lendemain. C’est fait, et ce serait aujourd’hui une singulière méprise de croire que ce qui s’est passé n’est qu’un accident, qu’il n’y a qu’à reprendre des habitudes de vie intellectuelle interrompues par un hasard de la guerre. Tout est changé au contraire, c’est une histoire à recommencer dans des conditions nouvelles, avec un esprit nouveau. On a de la peine à s’y accoutumer évidemment ; nous ressemblons quelquefois à un homme profondément atteint dans un membre ou dans un organe essentiel et qui n’est point encore arrivé à comprendre que tout son être doit s’en ressentir, que le système de ses mouvemens ne peut plus être le même. C’est une des causes de nos mécomptes, de nos tiraillemens, et je touche ici à un phénomène qui n’est pas seulement littéraire.

C’est l’histoire de ce travail de réorganisation militaire qui