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d’automne, les Voix intérieures, les Rayons et les ombres, sous la monarchie de juillet les Châtimens, les Contemplations, la Légende des siècles dans l’exil, l’Année terrible au lendemain de la guerre. Je ne parle pas de ses tentatives dramatiques et de ses romans qui, depuis Notre-Dame de Paris, se sont étrangement multipliés. Dans toutes ces pages de dates diverses, écloses sous des astres différens, il y a sûrement l’empreinte originale, les lueurs du génie, la puissance de l’ouvrier forgeant, maniant ou tordant la langue. Eh bien ! dans ces pages on voit déjà ce qui passe, ce qui tombe comme l’écaille d’une fresque vieillie ; on sent l’inspiration égarée et dépaysée. Ce n’est pas parce que le poète a changé d’opinion au courant des révolutions contemporaines : il ne change guère même dans ses hymnes à des dieux ennemis, même lorsqu’il se fait la trompette retentissante de causes contraires ; il reste toujours l’homme de l’antithèse et de l’image. Le malheur de M. Victor Hugo est d’avoir si peu la fibre humaine, de réunir, avec la supériorité du talent, les ambitions, les excès et les puérilités prétentieuses de son école, d’avoir poussé jusqu’au bout et d’appliquer à tout cette théorie de « l’art pour l’art, » avec laquelle il fait de la politique révolutionnaire, de la philosophie sociale ou apocalyptique comme de la poésie. Tout est pour lui matière à variations.

Qu’en reste-t-il ? L’auteur des Misérables est peut-être destiné à être un grand Ronsard de notre temps, un Ronsard qui s’est donné à lui-même le baptême démocratique, qui n’est jamais arrivé à se faire sa place dans la république, si ce n’est à titre de coryphée retentissant. De tout ce qu’il a composé et livré au courant du siècle, on ferait assurément quelques volumes de choix ; ce serait la part du vrai génie, de la poésie immortelle dans son essence et dans sa fleur. Le reste n’est que la rançon payée par une imagination puissante et inégale aux égaremens, aux sophismes, aux passions ou aux fatalités de son temps. C’est ce qui vieillit et n’a plus de sens au milieu des cruelles réalités contemporaines. S’il y avait pour un génie sincère et heureusement inspiré une dernière occasion de se relever, c’était bien cette épreuve que vient de traverser la France, cette époque si justement appelée l’Année terrible ! Dans ces deuils grandioses de toute sorte, M. Victor Hugo n’a su trouver que des thèmes de colères sans émotion, de haines sans pitié, d’amplifications sans originalité et même de facéties lugubres. Ces discours qu’il rassemble aujourd’hui pour élever son monument oratoire ressemblent à une exhumation archéologique d’un passé refroidi. Franchement, si j’avais à choisir parmi ces discours, le meilleur serait encore un discours de 1846 sur la constitution et la défense du littoral français. Dans ces paroles simples sur une simple question de défense vibre le sentiment national. Les autres ne sont qu’un bruit évanoui.