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l’illusion d’une renaissance. Il est prêt à battre des mains à toutes les tentatives bien inspirées. Au milieu des défections, des banalités et des improvisations équivoques, est-ce qu’il n’y a pas des talens qui gardent tous les dons de l’art, de l’invention et du style ? Je n’irai pas rappeler, au lendemain du succès de Marianne, du Mariage dans le monde, et George Sand et Feuillet, — et Cherbuliez, et Jules Sandeau, qu’on attend toujours, qui ne tardera pas certainement à nous rendre une de ces exquises nouvelles où il met sa délicatesse ingénieuse et élevée. Ouvrez ce petit livre de M. Gustave Droz, les Étangs : ce n’est pas un récit dramatique, une action fortement nouée ; le roman va comme il peut à travers des pages d’une littérature fine, d’une bonne grâce aimable et piquante, qui révèlent l’écrivain de race. D’un autre côté, des esprits sérieux, réfléchis, M. Fouillée, M. Carrau, d’autres encore, s’élèvent, renouant les vraies traditions de la philosophie française, portant dans leurs premiers essais la sûreté du jugement et de la critique, l’indépendance d’une raison ferme aussi bien que l’élégante clarté du langage.

La carrière est large et ouverte à tous, aux talens éprouvés et à ceux qui s’élèvent ou qui ont la bonne volonté. C’est surtout aujourd’hui à la jeunesse de comprendre que c’est son avenir qui se prépare, que c’est à elle de rendre à la France sa puissance morale et son ascendant intellectuel compromis, de reprendre l’œuvre du lendemain des défaites dans des conditions nouvelles. Elle ne le peut que par le travail, par l’étude, par la méditation sincère, par la révision et la répudiation de tout ce qui a contribué au déclin, à la crise commune de la société et de la littérature. — Esprit nouveau ! esprit nouveau ! s’écriait Edgar Quinet avant de mourir, et il écrivait dans son dernier livre : « Quand je vois la tempête qui emporte les générations actuelles et l’espèce de délire dont toute âme est saisie, je me dis que ce n’est pas l’effet d’une trop grande ambition de désirer rendre l’équilibre à tant d’esprits déchaînés. L’époque qui contient de si grands maux en contient certainement aussi le remède ; il existe, il est sans doute près de nous, peut-être là caché sous l’herbe… Pourquoi les jours de fête de l’intelligence ne reviendraient-ils pas ? .. » Oui, pourquoi ? Ils peuvent renaître sans doute, ces jours de fête de l’esprit nouveau ; mais ils ne peuvent renaître que par l’effort de toutes les intelligences sérieuses et bien inspirées, par une sorte de liquidation sincère de tous les excès, par l’épuration des idées, surtout par ce sentiment de la vérité et de la patrie qui seul relève les nations atteintes dans leur fortune morale comme dans leur fortune militaire et politique.


CH. DE MAZADE.