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Bute, car on n’avait pas vu depuis longtemps pareille impéritie chez les hommes qui se trouvaient à la tête des affaires. Du mois de juin 1762 au mois d’avril 1763, quarante-quatre numéros de ce journal avaient vu le jour avec un succès incontesté. Puis Bute laissa la place à Grenville. Wilkes n’avait aucune raison d’en vouloir à ce dernier, qui semblait appelé pour réparer les fautes de son prédécesseur ; il suspendit donc la publication de son recueil, et, la chambre des communes étant en vacances, il partit pour Paris. Au retour, l’une de ses premières visites fut pour Pitt, qu’il trouva discutant avec lord Temple, frère de Grenville, le discours du trône que le premier ministre lisait ce jour-là devant le parlement. Tous deux critiquaient fort ce document. Wilkes, rentré chez lui, mit par écrit cette conversation ; il en fit le 45e numéro du North-Briton, qui parut quelques jours après.

Ce dernier écrit produisit un effet considérable ; non pas que le public s’en émût beaucoup, car ce qu’on appelle aujourd’hui l’opinion publique était alors endormie ; mais George III et ses ministres le lurent et s’en indignèrent. Lord Halifax, l’un des secrétaires d’état, consulta les conseillers légaux de la couronne sur la question de savoir comment on pourrait atteindre l’auteur et l’imprimeur, à quoi il fut répondu que ce libelle « infâme et séditieux » tendait à détruire l’affection que le peuple avait pour sa majesté, et qu’il y avait lieu de le poursuivre conformément aux lois. Avant d’avoir reçu cette réponse, lord Halifax lançait un mandat d’amener général « contre les auteurs, imprimeurs et éditeurs de l’écrit scandaleux intitulé North-Briton, n° 45. » Ce mandat d’amener n’était donc pas nominatif. Il était arrivé déjà quelquefois aux officiers de police judiciaire d’avoir recours à ce mode d’information quelque peu vague et arbitraire ; mais la légalité en était douteuse. Les messagers du roi chargés de l’exécution allèrent droit au logis de Wilkes, l’arrêtèrent et saisirent ses papiers. Chez l’imprimeur, on découvrit le manuscrit du n° 45 écrit de sa main. Ainsi le fait était avéré. Cependant Wilkes, après quelques jours de secret, obtint de comparaître devant la cour des plaids communs, qui, sous la présidence du grand-juge Pratt, plus tard lord Camden, décida qu’il devait être mis en liberté parce que les privilèges de la chambre des communes protégeaient chacun de ses membres contre des poursuites pour la cause dont il s’agissait. La multitude, que le hardi pamphlétaire avait en sa faveur, accueillit cette sentence avec enthousiasme. On le reconduisit en triomphe jusque chez lui ; le soir, les rues furent illuminées en l’honneur du héros du jour.

Wilkes, dont la fortune était fort ébréchée, s’en fût peut-être tenu là, s’il n’eût trouvé un protecteur riche et puissant en la personne