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libéralisme et d’opposition, le seul peut-être qu’il y eût en Angleterre, car les corps municipaux des autres grandes villes du royaume subissaient le prestige de l’autorité royale autant que les campagnes : aussi y eut-il sensation lorsque le lord-maire Beckford, accompagné d’une suite nombreuse, vint un jour admonester George III, qui s’en montra fort blessé, comme on pense. Peu de jours après, le lord-maire revint à la charge ; sur une réponse décourageante du souverain, il proféra des paroles qui, tout en ne s’adressant qu’aux ministres présumés seuls responsables, atteignaient le roi lui-même, puisque celui-ci était le seul ennemi irréconciliable de Wilkes. George III se mit en colère, dit-on, et, portant la main sur la garde de son épée, il fit entendre qu’il la tirerait plutôt que d’accorder la dissolution des communes. C’était donc bien la volonté personnelle du monarque qui se trouvait en lutte contre la volonté populaire. Le parlement n’était plus qu’un comparse, soutenu par l’un, attaqué par l’autre des deux partis en lutte, ce qui ne s’était pas vu depuis la révolution. Toutefois les esprits se calmèrent peu à peu. Personne ne se souciait sans doute de pousser les choses à l’extrême ; d’ailleurs le principal agitateur, retenu en prison, ne pouvait prendre une part directe au conflit.

Au fond, Wilkes n’était pas si malheureux sous les verrous qu’il eût hâte d’en sortir par un coup de tête. On lui avait donné pour logement une maison commode où il vivait à l’écart des autres détenus. Sa table était servie avec profusion, grâce aux cadeaux de poisson, de gibier, de fruits, que lui expédiaient de nombreux admirateurs. Il avait la visite des hommes les plus considérables du royaume, par exemple Burke et lord Rockingham. De tous côtés lui arrivaient des dons en argent qu’il acceptait avec d’autant moins de scrupules que sa fortune était dissipée et ses affaires toujours en désordre. Les habitans de Charleston lui envoyèrent d’Amérique une somme de 1,500 livres sterling. Dans ce temps aussi, les électeurs d’un quartier de Londres l’élurent alderman, ce qui lui rendait une situation politique. Le jour où il fut enfin mis en liberté, on illumina à Londres, où le lord-maire lui-même prit part à cette manifestation, et dans d’autres villes de province. Il eut le bon goût de se soustraire aux ovations que la foule lui aurait faites volontiers ; mais il accepta sans remords l’appui pécuniaire de ses nombreux adhérens. Il s’était formé une association qui, sous prétexte de défendre les droits des citoyens, n’avait en réalité d’autre occupation que de payer les dettes de Wilkes pour empêcher qu’il ne fût poursuivi par ses créanciers. George III apprit cela ; il se dit qu’il suffisait de ne pas donner un nouvel aliment à la popularité de ce turbulent adversaire, que ses amis les plus dévoués se lasseraient de