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de paraître désavouer ce qu’on a fait, d’avoir toujours l’air de redouter plus que de désirer l’alliance des opinions libérales les plus modérées et de se rejeter vers ceux qui n’ont pas voté la constitution, qui la renient et qui ne comptent s’en servir que pour la ruiner. Il y a peu de jours, M. de La Rochette écrivait : « J’admire certainement beaucoup M. Buffet, qui lutte courageusement contre les conséquences logiques de son acte du 25 février… » Pas plus tard qu’hier, M. de Belcastel, dans une lettre pleine d’une fière sincérité, mais aussi d’illusions et d’un mysticisme ardent, M. de Belcastel à son tour disait son mot sur la constitution, sur « la misère de cet expédient comparé à la vraie constitution française » et fait pour inspirer « l’humiliation et la douleur ; » mais enfin les temps sont durs, et il n’est point impossible aux conservateurs de se servir de l’expédient, « si mauvaise opinion qu’ils aient de l’instrument qui leur demeure. » C’est à ce qu’il paraît une nouvelle manière de recommander la constitution.

M. Buffet ne l’entend pas ainsi certainement, pas plus qu’il ne mérite le singulier éloge de M. de La Rochette ; seulement il a l’air d’avoir passé, lui aussi, « sous les fourches candines, » selon le mot de M. de Belcastel, et de chercher son équilibre conservateur, non dans les conditions réelles où nous sommes, mais dans la reconstitution rétrospective, chimérique, d’une majorité hostile. Il ne veut pas qu’on dise que la majorité du 24 mai est « heureusement et définitivement dissoute. » Avec cela, une politique se rétrécit et se fatigue, elle s’expose à être toujours suspecte et à devenir impuissante.

Qu’en résulte-t-il en effet ? M. le vice-président du conseil se crée certainement une situation difficile devant l’assemblée. Pour son illusion de politique conservatrice, il s’affaiblit lui-même, il diminue ses propres chances dans les questions d’un ordre réellement conservateur. Il décourage ceux qui ne se sont jamais refusés, qui ne se refuseraient pas plus aujourd’hui à un vote de garanties utiles, fût-ce au prix de quelques concessions nouvelles, et il n’est pas pour cela plus certain de l’appui de ceux qu’il ménage, qui ne sont prêts à lui porter secours que dans les mauvaises affaires, lorsqu’il s’agira d’ajouter aux embarras de la république. Ce qui est vrai dans l’assemblée est bien plus vrai encore dans le pays lui-même, qui ne comprend pas toujours les combinaisons et ne se rend pas compte des difficultés. Le pays a besoin de netteté ; il a une constitution, des lois que M. le président de la république saura faire respecter, selon le mot tout récent de M. le préfet de l’Aisne, recueilli et relevé avec une confiante cordialité par M. Henri Martin. Rien de plus rassurant que ces déclarations, qui se succèdent de temps à autre ; puis viennent les incidens qui ravivent les incertitudes, que les partis exploitent, et en fin de compte c’est de l’incohérence tempérée par la raideur administrative. M. le vice-président du conseil fait de l’autorité, comme on dit, il ne gouverne pas, et, sans le vouloir,