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de l’assemblée. Il reprochait à la majorité de servir, sans le vouloir, les projets du président en appuyant faiblement le ministère Barrot-Dufaure, le meilleur, disait-il, que l’on pût avoir dans les circonstances actuelles. Bientôt en effet le président lui donnait raison par son message du 31 octobre, et l’assemblée par sa conduite après le renvoi de M. Barrot. N’ayant pas été réélu, je voyageais alors en Italie, et M. de Rémusat voulait bien me tenir au courant des incidens parlementaires et me communiquer ses impressions.

« La majorité, m’écrivait-il peu de jours après le 31 octobre, ne veut ni de la république, ni de la monarchie, ni de l’empire. Chaque parti a conservé de ses anciennes opinions juste ce qu’il faut non pour agir, mais pour empêcher d’agir les autres partis. Ce que je vous dis, tout le monde le trouve, tout le monde s’accuse de ne savoir rien épouser ni rien répudier, rien renverser ni rien affermir, et personne ne fait un pas pour sortir de cette position. » Un peu plus tard il ajoutait que le secret de notre avenir se cachait dans les entrailles du président. « Oui, mon cher ami, disait-il, après soixante ans de révolution, nous dépendons d’un coup de tête individuel. Tout le monde convient que l’homme est chimérique, obstiné, dissimulé. Il n’est pas incapable de ténacité, on le sait; mais il est inerte, indolent, livré à la mollesse et au plaisir. Ses oscillations, fruit d’une vanité inquiète, d’une inexpérience crédule, se prolongeront-elles indéfiniment, ou en sortira-t-il à l’improviste par quelque brusque tentative? Là est la question, et on ne peut la résoudre que par des conjectures. »

Il résulte de là que M. de Rémusat, n’ayant confiance ni dans le président ni dans l’assemblée, assistait tristement aux événemens sans y prendre part et sans en rien attendre de bon. Il vint un jour pourtant où, par la révocation du général Changarnier, le président jeta un défi éclatant au pouvoir parlementaire. Ce jour-là, M. de Rémusat sortit de son abstention, et ce fut lui qui vint au nom de la majorité outragée demander que l’assemblée nommât d’urgence une commission chargée de prendre toutes les mesures que les circonstances pourraient commander. La commission fut formée, et après un grand débat où M. Thiers prononça ces paroles célèbres : u si l’assemblée cède, l’empire est fait, » le pouvoir parlementaire se manifesta par un vote qui força les ministres à se retirer. Malheureusement, dès le lendemain, l’assemblée retombait dans ses incertitudes, et quand arriva le moment de la catastrophe, elle succomba presque sans combat. J’étais alors rentré dans l’assemblée, et chaque jour je causais avec M. de Rémusat du sort qui nous attendait. Malgré sa répugnance pour la tribune, il était prêt à y monter et à dénoncer publiquement le complot qui se