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bois tirées des plus anciens tombeaux, ou bien au musée du Louvre la statuette du scribe accroupi et celles de plusieurs fonctionnaires, avec leurs femmes et leurs enfans, qui se trouvent aujourd’hui sur le palier du grand escalier du musée Charles X, on reconnaîtra, en présence de ces divers monumens, un art indépendant, visant à la reproduction des allures naturelles et au portrait, et non pas enchaîné, comme il le sera plus tard, par des liens hiératiques. Si ce n’est pas là du progrès, c’est au moins du changement ; le progrès réel se retrouve, tout au moins pour ce qui concerne les arts, dans le perfectionnement des procédés et l’habileté croissante de la main-d’œuvre : la gravure sur granit, remarquable chez les Égyptiens dans tous les temps, est surtout admirable sur les sarcophages de l’époque la moins ancienne, celle des rois saïtes.

En tout cas, le caractère propre de ce peuple est bien son esprit religieux. On trouvera dans le livre de M. Maspéro sur ce sujet les données les plus précises et les plus nouvelles. Le point important, désormais hors de doute, c’est qu’il faut cesser de méconnaître la pensée de monothéisme qui se dégage si clairement de l’ancienne religion égyptienne, avec certains dogmes du spiritualisme le plus élevé. Hérodote nous dit déjà que les Égyptiens reconnaissent un dieu unique, sans commencement ni fin. Jamblique, disciple de Porphyre au ive siècle après l’ère chrétienne, déclare qu’ils avaient un seul dieu, adoré sous divers noms, selon ses divers attributs ; ce dieu est double en ce sens qu’il est dieu s’engendrant lui-même, dieu se faisant dieu, πρῶτος τοῦ πρώτου θεοῦ (prôtos toû prôtou theoû), « le un de un, » comme traduit M. de Rougé. Les textes égyptiens abondent pour attester « ce dieu suprême, seul générateur dans le ciel et sur la terre, et non engendré,… seul dieu vivant, qui s’engendre lui-même, qui existe dès le commencement, seigneur des êtres et des non-êtres, qui a tout fait et n’a pas été fait. » Que des croyances hautement spiritualistes s’ajoutent dans l’ancienne religion à cette idée fondamentale, il y en a aussi beaucoup de preuves, telles que l’importance attribuée aux tombeaux et l’extrême soin consacré à l’embaumement de la momie. Celle-ci devient l’objet d’une sorte de transfiguration mystique. On lui met sur la poitrine le bijou représentant l’épervier sacré, c’est-à-dire le souffle de l’âme humaine. A la place du cœur, on introduit le scarabée de pierre dure, symbole du passage de la mort à la vie. La boîte ou le sarcophage qui la renferme sont couverts au dedans et au dehors de représentations et d’inscriptions dévotes. A l’intérieur du couvercle, au-dessus de la momie, figure la déesse du ciel, que le mort invoque en ces termes ou par d’autres formules analogues : « O ma mère le ciel, qui t’étends au-dessus de moi, fais que je devienne semblable aux constellations ! Que le ciel étende ses bras