Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se produire aussi longtemps qu’il y aura des séducteurs trop peu scrupuleux et des pères d’un tempérament trop sanguin. Ce n’est pas certes que ce fait divers ne mérite l’attention des moralistes et des criminalistes, et l’on conçoit que l’auteur de la préface de Manon Lescaut n’ait point laissé échapper cette occasion propice de légiférer sur la séduction et la recherche de la paternité après avoir légiféré sur l’adultère. C’est une justice à rendre à cet inflexible criminaliste que le séducteur de l’innocence ne le trouve pas plus disposé à l’indulgence que la femme adultère. « Vous allez voir, dit-il en commençant son réquisitoire, que je vais être amené fatalement et avec la loi, qui se fera ma complice, tout en se voilant le visage, à conclure par : tue-le, comme sur une autre question j’ai été amené à conclure par : tue-la. » Cependant cette conclusion impitoyable et symétrique n’est point définitive, il y en a une autre, que disons-nous ? il y en a deux autres, auxquelles M. Alexandre Dumas s’arrête de préférence : la première consiste à assimiler simplement la séduction au vol et rendre le séducteur passible d’une amende de 10,000 à 100,000 francs selon la fortune du coupable, ou, s’il est sans fortune, d’un emprisonnement qui pourra être de dix années et ne pourra être moindre de deux. En outre, « i un enfant est résulté de ces relations, cet enfant recevra d’office le nom du père, qui devra en outre placer sur sa tête une somme équivalente à celle que la mère aura, reçue. » La seconde solution de M. Dumas consiste au contraire à réhabiliter la séduction en considération des services qu’elle a rendus à l’humanité en donnant le jour à une foule d’individualités illustres, et qu’elle ne manquerait de lui rendre avec plus d’abondance encore pour peu qu’elle fût encouragée. L’encouragement consisterait dans un article ainsi conçu : « l’état se chargera de tous les enfans naturels et les fera élever avec le plus grand soin. »

On pourrait reprocher sans doute à ces deux solutions de ne point se rattacher logiquement l’une à l’autre. On n’aperçoit pas bien au premier abord comment la séduction peut tour Il tour être considérée et punie comme un vol, puis réhabilitée, utilisée et même primée ; mais qu’importe après tout, si l’une de ces deux solutions est la bonne ? Il suffira de biffer l’autre sans s’inquiéter davantage de la logique. Nous pouvons donc passer outre et rechercher si la séduction peut être correctement assimilée au vol. M. Alexandre Dumas n’y voit aucune différence. Dérober l’honneur d’une jeune fille ou voler un mouchoir, à ses yeux c’est tout un. On lui a fait remarquer cependant qu’il est sans exemple qu’un mouchoir ait jamais été se placer de lui-même sous la main d’un voleur ou manifesté une propension naturelle à être volé, et cette observation ne