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appartenaient à ceux qui les recueillaient, ils étaient esclaves ; au moyen âge, ils étaient serfs, serfs de l’église pour la plupart. Leur condition était dure assurément, puisqu’ils se trouvaient à peu près assimilés aux bêtes de somme, mais du moins ils avaient un propriétaire ou un seigneur intéressé à leur existence. On les élevait par intérêt et on leur faisait donner les soins nécessaires comme s’il s’était agi d’un cheval ou d’un bœuf. S’ils montraient d’heureuses dispositions, s’ils manifestaient dès leur jeune âge des aptitudes et des qualités susceptibles de devenir lucratives, on les cultivait en vue des profits qu’on en pouvait tirer. Tout en rapportant davantage à leur maître, ils recueillaient de leur côté une partie des bénéfices de cette culture plus raffinée, ils s’élevaient à la condition d’affranchis, et plus tard d’hommes libres. Lorsque l’esclavage eut disparu, lorsque les liens du servage se furent relâchés, à la différence des enfans légitimes, leur condition devint pire. Les enfans légitimes possédaient une famille, un père et une mère qui étaient leurs tuteurs naturels et qui se chargeaient des soins et de la dépense nécessaires pour faire d’un enfant un homme. Les enfans naturels au contraire, n’ayant plus de propriétaires, n’avaient plus de tuteurs ; personne n’était plus intéressé à recueillir ces épaves de la misère et du vice, puisqu’il n’était plus permis de les exploiter. La charité vint alors à leur aide, mais la charité est, hélas ! un mobile moins actif que l’intérêt, et ses ressources sont limitées. On fut obligé de suppléer à l’insuffisance de la charité volontaire au moyen de la charité imposée, et la paroisse devint la tutrice et la nourricière des enfans abandonnés. Ce fardeau, qui grevait des communautés en général très pauvres, explique la rigueur des anciennes lois et coutumes relatives à la recherche de la paternité. La paroisse n’était-elle pas intéressée à réduire au minimum cette dépense dont chacun sentait directement le poids ? Si la maxime creditur virgini parturienti n’était pas infaillible, si l’abus qu’on en pouvait faire était inquiétant même pour les magistrats et les dignitaires ecclésiastiques, l’inconvénient de grever à l’excès les maigres ressources de la paroisse ou de laisser périr d’innocentes créatures ne devait-il pas l’emporter sur les risques accidentels qui pouvaient naître de l’abus des déclarations ? D’ailleurs cet abus, l’avocat-général Servan lui-même en tombe d’accord, n’était devenu insupportable qu’à la longue, par gradations, lorsque, les foyers de population s’étant multipliés et agrandis, les mœurs avaient commencé à se gâter.

Voici cependant que la charité publique, suivant en cela le mouvement général, se centralise de plus en plus, voici que la tutelle des enfans abandonnés devient une affaire d’administration, à laquelle la commune, qui a succédé à la paroisse, n’intervient plus que pour