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verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« D’un ancien peuple fier et libre, nous sommes peut-être la fin, et si les félibres tombent, tombera notre nation. Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« D’une race qui regerme, peut-être sommes-nous les premiers jets ; de la patrie peut-être nous sommes les piliers et les chefs. Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« Verse-nous les espérances et les rêves de la jeunesse, le souvenir du passé et la foi dans l’an qui vient. Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« Verse-nous la connaissance du vrai comme du beau, et les hautes jouissances qui se rient de la tombe. Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« Verse-nous la poésie pour chanter tout ce qui vit, car c’est elle l’ambroisie qui transforme l’homme en Dieu. Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts !

« Pour la gloire du pays, vous enfin, nos complices, Catalans, de loin, ô frères, tous ensemble communions ! Coupe sainte et débordante, verse à pleins bords, verse à flots les enthousiasmes et l’énergie des forts ! »


Il y avait bien dans ces strophes viriles certains mots qui ne sonnaient pas très juste à nos oreilles. On pouvait craindre des méprises funestes chez les auditeurs qu’enivrait cette espèce de marseillaise provençale. Plusieurs estimaient que tel passage éveillait trop l’idée d’une patrie distincte, d’une patrie séparée. Comment douter pourtant des sentimens du poète, quand on le voyait, en ces mêmes années et dans une pièce adressée aux mêmes poètes catalans ses complices, faire cette déclaration : « Nous, les Provençaux, flamme unanime, nous sommes de la grande France, franchement et loyalement ; vous, les Catalans, bien volontiers vous êtes de la magnanime Espagne ? » Comment douter du poète qui, après avoir rappelé avec regrets l’ancienne vie autonome de sa contrée natale, expliquait si nettement les transformations nécessaires, bien plus, les transformations bienfaisantes : « A la mer doit tomber le ruisseau… Des perfides froidures de l’équinoxe le blé serré se préserve mieux ; et les petits vaisseaux pour naviguer en sûreté, quand l’onde est noire et l’air obscur, doivent naviguer de conserve… il est bon d’être nombre, il est beau de s’appeler les enfans de la