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ici les yeux au premier moment a un caractère purement hellénique. Il en est ainsi de l’élégant édifice qui surmontait à Xanthos un rocher qu’un profond ravin sépare de l’Acropole ; les blocs de marbre dont il se composait ont été recueillis gisant sur le sol, expédiés en Angleterre, rapprochés et remontés pièce à pièce par les ouvriers du musée. On a obtenu ainsi un petit temple périptère tout en marbre, porté sur un soubassement rectangulaire haut d’environ 4 mètres. Sous le péristyle, dans chaque entre-colonnement, une statue de femme drapée. Des figures remplissaient le champ des frontons ; d’autres en surmontaient le sommet et les angles. On a des restes de quatre frises, dont deux, selon toute apparence, décoraient la cella, tandis que deux autres couraient à différentes hauteurs autour du soubassement. Sculptures partout jetées avec une prodigalité inaccoutumée, plan général et détail de la construction, tout dans ce monument est grec, rien que grec. Les quatorze colonnes du portique sont d’ordre ionique. Les statues en ronde bosse rappellent la belle Victoire de Thasos que M. Miller a rapportée au Louvre ; elles ont cependant moins d’élan et de grandeur. On leur a donné le titre de Néréides à cause de certains attributs marins. Les frises, qui représentent des chasses, des sacrifices et des combats, sont d’une facture habile, mais un peu commune. C’est de la sculpture grecque du IVe siècle avant notre ère ; de même pour le monument connu sous le nom de Tombe des Harpies. S’il y a dans les plis des draperies et dans les attitudes des personnages une symétrie qui témoigne d’une antiquité assez reculée, dans le dessin et le mouvement des figures on remarque une justesse et une élégance qui révèlent un sentiment déjà très élevé de la forme et une science bien sûre d’elle-même. Par l’ensemble du style comme par certains détails caractéristiques, cela fait songer à cet admirable bas-relief d’Eleusis, dont M. Vitet a si bien parlé dans la Revue[1], et au beau fragment que M. Heuzey a rapporté de Pharsale[2]. C’est bien cette grâce, plus facile à goûter qu’à définir, par laquelle se distinguent les œuvres archaïques qui naissent à l’aube même des grands siècles de perfection classique. Sous certaines gaucheries et certaines raideurs, on y épie, on y devine le prochain épanouissement du génie qui n’a plus qu’un dernier effort à faire pour arriver à la pleine possession de lui-même, à la liberté souveraine et à la suprême maturité. C’est le charme pénétrant de l’aurore : on sent croître le jour et le soleil monter ; mais de légers nuages rosés qui flottent à l’horizon arrêtent encore les rayons

  1. Les Marbres d’Eleusis, 1er mars 1860.
  2. Heuzey et Daumet, Mission archéologique de Macédoine, planche 23.