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se démoraliser au contact de la culture hellénique. La Grèce asservie énerva Rome, et par ses arts, ses enchantemens, amena l’ère des césars. L’esclave avait des philtres, des voluptés, des magies, pour vaincre à son tour et changer en bêtes ses tyrans. Les extravagances ne se comptent plus, les jours, comme les nuits, ne forment qu’une suite de folies, d’horreurs : Cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt. Le scandale est mis au concours, la monstruosité fait prime, c’est la frénésie de l’impossible. On ne s’habille que de soie, et la soie se vend littéralement au poids de l’or, on se baigne dans les essences les plus rares, on emploie aux plus vils usages les vases murrhins. Tantôt c’est une fantaisie qui passe par la tête de l’empereur de voir rassemblées sur un seul point dix mille belettes ; le lendemain, c’est 10,000 chats qu’il lui faut pour se distraire un quart d’heure. Et ces coqs vivans auxquels on arrache la crête, ces grives et ces paons dont on fouille la cervelle, ces perroquets et ces faisans qu’on décapite, histoire de rire ! À ces carnages d’animaux, à ces féroces lâchetés, se mêle un souci particulier d’avilir l’espèce humaine.

On invite ses parasites, on les affame, pour offrir ensuite à leur voracité des victuailles de cire et d’albâtre, ou bien, après les avoir gorgés de boisson et de viande on les fait transporter dans une salle close où, quelques heures plus tard, ils se réveillent au milieu d’une terrifiante compagnie d’ours, de tigres, de lions et de serpens à sonnettes. L’absurde, le bouffon le dispute au tragique, et la même journée qui se terminera par une illumination d’hommes brûlés vifs voit des agriculteurs fantaisistes arroser de vins exquis leurs arbres fruitiers et promener dans les pâturages des troupeaux de moutons et d’agneaux teints de pourpre. Un savant allemand, M. Martin Hertz, a écrit un livre sur cette espèce de pompadourisme antique[1]. J’y renvoie ceux de mes lecteurs qui seraient tentés de me reprocher mon goût du pittoresque et mes curiosités, je les renvoie surtout à la Messaline de M. Johannes Scherr. Toutes les décadences se ressemblent : le XVIIIe siècle, comme libertinage, n’a rien inventé, et quand le cardinal de Bernis et son digne compagnon Casanova mettaient leur gloire à suborner des religieuses, ils imitaient ces grands seigneurs de Rome qui ne recherchaient plus que des vestales, non par amour, ne profanons pas ce mot, mais par désœuvrement et pour flétrir, souiller quelque chose d’humain qui pouvait encore être resté pur. Flétries, perdues de vices, toutes l’étaient ; pas une de ces belles et superbes créatures qu’une immonde lèpre au dedans ne rongeât. Aux femmes d’autrefois, aux

  1. Renaissance und Rococo in der römischen Litteratur, Berlin.