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comme elle. Peut-être aussi avait-il souci d’éviter certaines plaisanteries auxquelles le chansonnier de Béranger n’avait pas échappé. « N’étant pas noble, a-t-il écrit, je n’ai pas voulu me donner l’air de l’être. » Des origines de sa famille, Sainte-Beuve savait peu de chose, sinon que son père était né à Moreuil en Picardie, et fils d’un contrôleur des actes. Jamais il ne put tirer au clair la question de sa parenté avec le docteur Jacques de Sainte-Beuve, dont il est souvent question dans l’Histoire de Port-Royal. Mme Sainte-Beuve s’appelait Augustine Coilliot ; elle était Anglaise par sa mère, et, par son père, d’une bonne famille de Boulogne-sur-Mer. Son mariage ne fut pas conclu sans difficultés. L’existence de M. de Sainte-Beuve père paraît avoir été, sous le rapport des affections romanesques, singulièrement peu fortunée. Il fut d’abord tendrement épris de la fille d’une lingère de Paris. Des obstacles demeurés inconnus s’opposèrent à leur union ; quelques années plus tard, quand il demanda la main de Mlle Coilliot, âgée de près de quarante ans, la famille de celle-ci objecta l’exiguïté de leur fortune à tous deux. Il fallut attendre plusieurs années que M. de Sainte-Beuve fût nommé contrôleur principal des droits réunis. Les vœux de sa tendresse étaient à peine accomplis depuis quelques mois, qu’il mourut subitement à l’âge de cinquante-deux ans, laissant sa femme enceinte.

L’attrait d’une curiosité invincible nous pousse toujours à chercher dans les mystères de la nature ou de l’éducation l’origine des dons de l’esprit. Sainte-Beuve n’ayant jamais connu son père, c’est avec sa mère qu’on s’attend à lui trouver quelque ressemblance. Que de fois d’ailleurs on a découvert, chez les hommes du plus grand esprit, la trace d’affinités morales avec leur mère ou leur sœur, comme si le génie, pour être complet, devait avoir quelque chose de féminin ! Mme Sainte-Beuve a tenu certainement une grande place dans la vie quotidienne de son fils. Elle est venue s’établir à Paris presqu’en même temps que lui ; elle ne l’a guère quitté, et elle est morte dans sa maison de la rue Montparnasse à l’âge de quatre-vingt-six ans. Les personnes qui l’ont connue, et elles sont en grand nombre, affirment que c’était une femme d’esprit, de bon sens et de tact. Elle veillait sur son fils avec une sollicitude très attentive, mais que les soins matériels tenaient surtout en éveil. « Il n’a jamais de chaussettes, » disait-elle en gémissant à Mme Desbordes-Valmore. Le genre de vie qu’il menait ne laissait pas aussi que de l’inquiéter. La carrière des lettres lui paraissait peu lucrative et peu sûre. En réalité, elle n’eut l’esprit en repos sur l’avenir de Sainte-Beuve qu’à dater du jour où il fut reçu de l’Académie française.