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nébuleuses de la spéculation philosophique, et descendons sur le terrain des faits qui concernent l’eucalyptus globulus.

La découverte de cet arbre rappelle un des grands voyages scientifiques dont l’ancienne marine française nous a légué la glorieuse tradition. Depuis 1788, on n’avait plus de nouvelles de La Pérouse. Justement émue et toujours ouverte aux pensées généreuses, l’assemblée nationale en 1791 résolut de faire rechercher les traces de l’infortuné navigateur, et confia cette mission au chevalier d’Entrecasteaux, marin de la bonne école, digne élève du bailli de Suffren. Les deux navires la Recherche et l’Espérance emportèrent un groupe de savans, notamment, à titre de naturalistes, les botanistes Labillardière et Riche. Ce dernier mourut des fatigues du voyage et des chagrins causés par la perte de ses collections ; le second, déjà connu avant son départ par un intéressant voyage en Syrie, rapporta des terres australes et surtout de l’île Van-Diemen de précieux matériaux dont il fit la base de publications importantes. C’est dans sa relation de voyage que se trouvent et les détails de la découverte de l’eucalyptus, et la preuve qu’il avait su pressentir avec une rare sagacité les services qu’un tel arbre pouvait rendre un jour comme bois de construction navale. Ici nous puiserons quelques citations dans le journal du naturaliste.

« 12 mai 1792. — (L’expédition était alors dans le port d’Entrecasteaux, au fond de la Baie des Tempêtes sur la terre de Diemen.) Je n’avais pu me procurer encore les fleurs d’une nouvelle espèce d’eucalyptus remarquable par son fruit, qui ressemble assez à un bouton d’habit[1]. Cet arbre, un des plus élevés de la nature, puisqu’il y en a d’un demi-hectomètre, ne porte des fleurs que vers son extrémité. Le tronc est propre aux constructions navales et pourrait servir à la mâture, quoiqu’il ne soit pas aussi léger ni aussi élastique que le pin. Peut-être serait-il avantageux d’en faire des mâts de plusieurs pièces, et même de creuser ces gros troncs dans toute leur longueur pour leur donner plus de légèreté, en les fortifiant par des cercles en fer… Il nous fallut abattre un de ces arbres pour en avoir des fleurs ; comme il était très penché, il tomba assez

  1. C’est même de cette ressemblance avec un bouton que Labillardière a tiré le nom de globulus. Ce fruit singulier donne plutôt l’idée d’une petite urne que d’un bouton. La forme est celle d’un cône renversé, relevé de quatre côtes saillantes, légèrement évasé sur le bord et creusé sur le milieu de quatre loges qui s’ouvrent par de larges fentes rayonnantes séparées par autant de languettes triangulaires. Avant la floraison, cette partie inférieure du calice, qui devient le fruit, portait un couvercle conique rugueux, épais, représentant aux yeux de quelques botanistes la partie supérieure du calice et pour d’autres une corolle à pétales soudés. En tout cas, c’est ce couvercle recouvrant et cachant longtemps les étamines qui a valu au genre le nom d’eucalyptus, de deux mots grecs qui signifient « je cache bien. »