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connues). De ses riches pêcheries de saumon, je n’ai plus rien à dire. Elle exporte des fourrures d’ours, de cerf, de renard, de blaireau, de loutre. Le maïs, le sarrasin, les légumineuses, le froment, y peuvent pousser en quantité. Yézo produit surtout en abondance un chanvre fin et soyeux, dont les nombreux cours d’eau facilitent le rouissage ; il suffirait de le cultiver et de le préparer sur une vaste échelle pour en fournir les marchés d’Europe, où déjà cette provenance est cotée à des prix exceptionnels (1re qualité, 137 livres sterling la tonne à Yokohoma) ; mais ce qui manque à toutes ces richesses, ce sont des bras pour les arracher au sol[1], c’est une administration libérale qui n’entrave pas la production par la perspective des gros impôts.

La tentative coloniale faite à Yézo, avortée comme essai agricole, aura cependant produit des résultats indirects efficaces en ouvrant deux routes et un canal. C’est de ce côté que doit se porter l’activité paternelle du gouvernement. Créer une capitale au centre d’une île déserte et la peupler de force est un rêve ; mais ce qui est urgent, c’est de frayer partout des routes dans cette forêt vierge, d’ouvrir partout des voies à l’initiative privée, de la laisser se développer librement ; elle ne manquera pas alors de stimulans. Sans parler des cultures, le sol renferme des richesses minérales dont l’inventaire est à peine fait. Des gisemens d’or, d’argent, de cuivre, d’ardoise, des bancs de granit et de pierre à bâtir, des mines considérables de charbon et de fer, sont déjà signalés ; il est temps pour les Japonais de mettre à profit toutes ces ressources par eux-mêmes, sans attendre le jour où ils seraient forcés de les hypothéquer. C’est le malheur de beaucoup d’entreprises en ce pays qu’on leur demande des résultats immédiats et qu’on s’en dégoûte, si elles ne les donnent pas. Il n’en va pas ainsi cependant des choses de ce monde. Sauf dans les contes de fées, rien ne change d’un coup de baguette. On a beau disposer de la vapeur et de l’électricité, on ne transforme pas les populations à coups de décrets ; au lieu d’aller droit au centre de cette circonférence, il faut s’y acheminer graduellement, s’établir sur les côtes, où les communications sont faciles et peu dispendieuses, créer la circulation, favoriser l’initiative et se résoudre à considérer pendant longtemps Yézo plutôt comme un superbe champ d’exploitation privée que comme un terrain d’expériences agricoles. Avant de demander à la nature ce qui lui manque, il faut songer à lui prendre ce qu’elle offre avec libéralité.


GEORGE BOUSQUET.

  1. La population totale est portée par les statistiques du Nagaitschiran à 76,850 habitains. La pauvre Irlande, moins grande, en a 6 millions.