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qui veut renouer ce fil dont je parlais tout à l’heure et chercher à s’en faire un guide.

Les journées de juillet avaient eu leur contre-coup dans les bureaux du Globe, où Sainte-Beuve avait jusque-là passé ses heures les plus laborieuses, et toute une petite révolution s’y était également produite. « Parmi les rédacteurs du Globe, les uns, a écrit plus tard Sainte-Beuve, étaient devenus conservateurs et gouvernementaux, subitement effrayés. Les autres ne demandaient qu’à marcher. J’étais de ces derniers. Je restai donc au journal avec Pierre Leroux, Lerminier, etc. Leroux n’était alors rien moins qu’un écrivain. Il avait besoin d’un truchement pour la plupart de ses idées ; je lui en servais. » Sainte-Beuve servant de truchement à Pierre Leroux, il y aurait là de quoi étonner ceux qui ne connaîtraient que le Sainte-Beuve des lundis. Sainte-Beuve professa assez tard une vive admiration pour ce singulier personnage, dont il n’abandonna la défense qu’à la suite d’altercations personnelles. Sous son influence, il fut un moment tenté de s’adonner à l’étude des questions sociales, et, lorsque le Globe fut vendu par Pierre Leroux aux saint-simoniens, il suivit le journal dans sa nouvelle campagne. Il continua d’y insérer des articles alors même que l’ancien recueil des Jouffroy et des Rémusat était devenu l’organe du père Enfantin, et paraissait sous le titre de Journal de la religion saint-simonienne avec la fameuse épigraphe : « à chacun selon sa vocation, à chaque vocation selon ses œuvres. » Les relations de Sainte-Beuve avec les saint-simoniens sont un épisode curieux, mais assez obscur, de sa vie morale et intellectuelle. A la fin de sa vie, il était partagé entre la tentation d’en tirer vanité et la crainte de se donner une légère teinte de ridicule. D’un côté, il se faisait honneur de n’avoir jamais désavoué ses relations avec leurs principaux chefs, et il saisissait l’occasion d’attester la « haute estime et le grand respect » qu’il portait au père Enfantin, en rendant hommage « à sa largeur de cœur et à ses belles facultés affectives et généreuses ; » mais de l’autre il tenait beaucoup à ce que la nature des liens qui avaient existé entre les saint-simoniens et lui ne fût pas défigurée et à ce qu’on ne le confondît pas avec les sectateurs naïfs de la doctrine. « Si l’on veut dire que j’ai assisté aux prédications de la rue Taitbout en habit bleu de ciel et sur l’estrade, c’est une bêtise. Je suis allé là comme on va partout quand on est jeune, à tout spectacle qui intéresse, et voilà, tout. Je suis comme celui qui disait : « J’ai pu m’approcher du lard, mais je ne me suis pas pris à la ratière. »

Que Sainte-Beuve en effet ne se soit pas pris à la ratière, c’est-à-dire, en bon français, qu’il ait prudemment abandonné les