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que les passions les plus humaines. La propriété des expressions y ; est si grande que Sainte-Beuve, ayant reçu en communication de l’abbé Lacordaire quelques pages où celui-ci lui rendait compte des premières impressions que fait éprouver l’entrée au séminaire, ces pages ont pu être insérées tout au long dans Volupté sans qu’il y ait désaccord avec le reste de l’ouvrage. Les transitions sont de la sorte si habilement ménagées qu’on franchit sans trop d’efforts avec Amaury tous les degrés de la prêtrise, et qu’on l’accompagné sans surprise jusqu’au jour où, dans une visite à son pays natal, ayant tourné ses pas vers le château de Couaën, qu’il croit abandonné, il y retrouve la marquise mourante, reçoit sa confession suprême et lui administre les derniers sacremens. Cette donnée sublime et touchante a été reprise depuis par Lamartine dans Jocelyn et embellie de sa touche dorée ; mais il n’a pas eu le mérite de la conception première, et il avait quelque peine, paraît-il, à pardonner à Sainte-Beuve de la lui avoir dérobée.

Telle est cette œuvre étrange, qui eut à l’époque de son apparition plus de retentissement que de véritable succès. Bien que Sainte-Beuve ait recueilli lors de la publication de Volupté plus d’un témoignage flatteur, cependant ce roman ne s’est jamais emparé fortement de la génération pour laquelle il avait été écrit. Il a obtenu plutôt des admirations isolées que le suffrage du public. Deux catégories de lecteurs déterminent en effet le succès décisif d’une œuvre d’imagination : les jeunes gens et les femmes. C’est leur jugement qui s’impose et que les juges les plus graves finissent par accepter. Or ni les jeunes gens ni les femmes ne pouvaient s’éprendre très vivement d’une œuvre où l’étude de la passion tient plus de place que la passion elle-même, où l’analyse de l’amour en devance en quelque sorte l’expression. Volupté s’adresse plutôt à cet âge de la vie où l’âme apaisée, sans être déjà indifférente, se complaît à étudier sans trouble, dans leurs complications et leurs nuances, des sentimens qui ne sont point encore devenus pour elle des souvenirs ; mais je ne crois pas qu’il y ait d’homme ayant véritablement aimé, qui, à la lecture de certains passages de Volupté, ne soit tenté de s’écrier : C’est vrai ! Cette vérité dans l’observation des sentimens les plus intimes du cœur devait procurer à Sainte-Beuve les témoignages de quelques-unes de ces sympathies inconnues qui ont plus de prix pour un auteur que les éloges du critique le plus en vogue. Parmi ces témoignages, Sainte-Beuve aimait particulièrement à citer celui d’une jeune femme, victime d’une passion à laquelle elle avait sacrifié sans hésiter la plus brillante des situations sociales, et dont Balzac a pieusement enseveli le souvenir dans le poétique épisode de la Grenadière. « Essayer de vous exprimer, lui écrivait la