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convenir qu’après avoir défendu contre ses propres amis la sincérité intellectuelle de ses aspirations religieuses, j’ai été tenté parfois d’être de leur avis en lisant les deux premiers volumes de Port-Royal.

A supposer même que l’enthousiasme de Sainte-Beuve ne fût pas déjà singulièrement refroidi à l’époque où il prononçait devant un auditoire plus curieux que bienveillant le discours d’ouverture de son cours, il n’est pas surprenant que sa manière de juger et de sentir se soit peu à peu modifiée sous l’influence nouvelle du milieu où il se trouvait. Sainte-Beuve, qui avait vécu à Paris dans bien des mondes différens, depuis celui des étudians en médecine jusqu’à celui de Mme Récamier, n’avait jamais vécu dans le monde protestant. Jamais non plus le christianisme ne lui était apparu sous cette forme nue, sévère, raisonneuse, qui convient si mal au tempérament de notre pays, mais qui sous des climats plus froids, sous des cieux plus voilés, a fourni à tant de nobles âmes les alimens et les espérances dont elles avaient besoin. Tout était donc nouveau pour lui à Lausanne, la foi, les mœurs, jusqu’à la forme du langage, et si dès cette époque son esprit, plus mûr et plus fort, n’était plus aussi aisément perméable à toutes les impressions extérieures, celles qu’il dut ressentir alors étaient trop neuves et trop vives pour qu’on n’en retrouve pas la trace dans quelque évolution de son esprit. Si courte, si fugitive qu’elle ait pu être, Sainte-Beuve a traversé une phase protestante et méthodiste qui correspond précisément au moment où il développait devant son auditoire d’étudians les doctrines catholiques sur la grâce, la pénitence et la vie claustrale. Il s’opérait donc en lui à cette date une transformation qui allait au rebours de son langage public, et il n’est pas étonnant que les deux premiers volumes de Port-Royal en aient gardé quelque embarras. Cette influence atmosphérique en quelque sorte devait au reste prendre un corps et une forme visible. Elle s’incarna dans la personne d’Alexandre Vinet. Vinet est le dernier maître dont Sainte-Beuve ait été le disciple et qui lui ait fait apercevoir des horizons nouveaux. « Le grand, l’incomparable profit que je retirai du voisinage de M. Vinet et de mon séjour dans ce bon pays de Vaud, a écrit Sainte-Beuve, ce fut de mieux comprendre par des exemples vivans ou récens ce que c’est que le christianisme intérieur, d’être plus à portée de me définir à moi-même ce que c’est, en toute communion, qu’un véritable chrétien, un disciple fidèle du maître, indépendamment des formes qui séparent. Être de l’école de Jésus-Christ, je sus désormais et de mieux en mieux ce que signifient ces paroles et le beau sens qu’elles renferment. »

M. Vinet était devenu en effet un des auditeurs assidus du cours