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que l’onction de M. Vinet aurait pu produire. On ne se rendait pas compte de toutes ces difficultés dans le petit monde religieux de Lausanne, et on espérait fermement l’entrée de Sainte-Beuve au bercail. « Est-il converti ? » demandaient fréquemment à M. Vinet les âmes pieuses, à quoi M. Vinet répondait avec impatience : « Si vous voulez savoir le fond de ma pensée, je le crois convaincu et non pas converti. » M. Vinet se trompait, Sainte-Beuve n’était pas plus convaincu que converti. Après être entré dans la religion par la porte de l’imagination et du mysticisme, il était au contraire en train d’en sortir par celle du raisonnement et de l’analyse. M. Vinet ne se doutait probablement pas que ses controverses dogmatiques avec Sainte-Beuve sur les matières du libre examen n’étaient peut-être pas étrangères à cette lente transformation. Pendant longtemps encore, Sainte-Beuve devait conserver vis-à-vis de la religion chrétienne les dehors de la sympathie et du respect ; mais à la fin de son séjour à Lausanne les cendres avaient fini par étouffer le feu.

Il ne faudrait pas au reste s’imaginer que, durant ces années, Sainte-Beuve vécût comme un théologien et comme un cénobite, préoccupé uniquement d’approfondir dans saint Augustin les mystères de la grâce ou de discuter avec M. Vinet la doctrine de la prédestination. Sans s’arrêter à la légende d’après laquelle il aurait écouté de nouveau, dans l’intérieur d’un ami, les accens d’une voix consolatrice, il est certain qu’à cette date le rêveur était encore vivant en lui. Ce fut au mois d’octobre 1837, c’est-à-dire un mois avant l’ouverture de son cours de Lausanne, qu’il fit paraître les Pensées d’août, le dernier et le plus faible assurément de ses recueils en vers. Dans celui-ci, il ne prétendait à rien moins qu’à inaugurer une poétique nouvelle, dont il découvrait le secret dans une longue épître à M. Villemain. Côtoyer la prose d’aussi près que possible, faire consister uniquement la versification dans la mesure et dans la rime, ne rien emprunter ni au sujet, ni à l’expression, ni à l’image, telle était la théorie nouvelle de Sainte-Beuve. Il appelait cela faire de la poésie familière. Ce qui est plus curieux encore que cette erreur d’un esprit aussi sûr, c’est qu’il avait été encouragé dans cette entreprise par le succès récent et prodigieux de Jocelyn. Une petite note placée en tête de l’insipide et incompréhensible poème de M. Jean invite clairement le lecteur à établir un parallèle entre les deux œuvres. Cette note a été conservée dans toutes les éditions successives, et jusque dans celle de 1862, sans que Sainte-Beuve en ait senti le ridicule. Ce recueil des Pensées d’août, « auquel le public fit, disait Sainte-Beuve lui-même, un accueil véritablement sauvage, » ne mériterait donc pas qu’on s’y arrêtât, s’il ne contenait sur la vie morale de l’auteur des