Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de relâchement, aussi longtemps que sa vie. C’est là qu’à partir de 1831 Sainte-Beuve a publié ses plus belles et ses plus larges études. C’est là qu’il a inauguré ce genre en quelque sorte créé par lui des Portraits littéraires, et qu’il a tracé les principales figures de cette longue galerie où l’abbé Prévost et M. Jouffroy, François Ier et le général Lafayette, Mlle Aïssé et Mme Roland doivent éprouver quelque étonnement de se trouver réunis.

De ces études, qui ont commencé à asseoir solidement la réputation littéraire de Sainte-Beuve, un assez grand nombre a été composé pendant la période qui s’étend de la publication des Consolations à celles des deux premiers volumes de Port-Royal ; ces études purement critiques ne devaient cependant dans sa pensée que peu servir à sa gloire. La nécessité très honorable de subvenir aux besoins de son existence quotidienne entrait pour beaucoup dans sa fécondité. Ce ne fut qu’à l’expiration de cette période d’agitations et de rêves, après son retour de Lausanne et d’Italie, que Sainte-Beuve se consacra tout entier à la critique et à la littérature. Il a pris soin de préciser la date de ce qu’il appelait sa guérison. L’étude sur La Rochefoucauld, publiée le 15 janvier 1840 dans la Revue des Deux Mondes et insérée depuis dans le volume des Portraits de Femmes entre celui de Mme de Longueville et celui de Mme de La Fayette, marquait à ses yeux « une date et un temps dans sa vie intellectuelle, et le retour décisif à des idées plus saines dans lesquelles le temps et la réflexion n’ont fait que l’affermir. » Mais a-t-il véritablement tout dit à propos de cet article sur La Rochefoucauld ? N’a-t-il vu dans l’auteur des Maximes que le moraliste amer, et n’a-t-il point été attiré par la destinée de celui qui, après avoir été au début de sa vie ramant d’une des plus brillantes héroïnes de la fronde, avait noué sur le retour les liens d’une étroite affection avec l’incomparable amie dont Mme de Sévigné louait sans cesse la divine raison ? En peignant cette liaison respectueuse et constante qui avait uni M. de La Rochefoucauld à Mme de La Fayette, et qui avait embelli d’un dernier rayon la vieillesse de l’un et les souffrances de l’autre, ne faisait-il point un retour sur lui-même en caressant encore l’espoir d’un dernier rêve ? Des communications bienveillantes me permettent de soulever ici le coin d’un voile derrière lequel rien ne s’est jamais abrité que de pur et de délicat. Sainte-Beuve avait rencontré dans un des salons de Paris une femme distinguée dont quelques nouvelles publiées ici même. Résignation, Marie-Madeleine, une Histoire hollandaise, ont assuré dans les lettres la discrète renommée. Mme d’Arbouville, qui est morte jeune encore en 1850, avait reçu de son aïeule, Mme d’Houdetot, l’héritage d’un esprit cultivé et d’un cœur aimant dont la sévérité d’une