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circonstances mêmes. L’Académie, en proposant au concours l’éloge de Pascal, avait remis le sujet en honneur. M. Cousin s’en était emparé dans son célèbre mémoire de 1844 sur les altérations qu’avait subies le texte des Pensées. Il s’était installé en maître sur ce terrain, et c’était une entreprise téméraire que de s’aventurer à côté de lui. Le sujet en tout cas était défloré. Sainte-Beuve le savait, et il en éprouvait une secrète mauvaise humeur qui fut le germe de ses dissentimens avec M. Cousin, dissentimens à cette époque soigneusement voilés ; mais il n’eut pas à se repentir d’avoir bravé la comparaison. Dans la manière dont il a traité et compris le sujet de Pascal, il n’a été inférieur à personne. Le portrait, ferme de dessin, sobre de couleur, sans faux éclat, sans surcharge de tons, qu’il a tracé de cette grande figure, la manière dont il a recomposé le plan et la donnée primitive des Pensées, et dont il a combattu l’hypothèse du soi-disant scepticisme de Pascal, forment autant d’admirables pages de critique morale et littéraire ; mais, laissant même de côté ce qui dans l’Histoire de Port-Royal peut ne paraître qu’un sublime épisode, pour envisager la manière dont il a traité le fond du sujet, je ne trouve pas que Sainte-Beuve, incrédule et sceptique, mais encore bienveillant, en ait moins bien senti et rendu les beautés que Sainte-Beuve mystique et dévot, ou du moins se piquant encore de l’être. Le dirai-je ? il y a, dans les élans d’admiration qu’arrachent à son indifférence les traits de véritable grandeur morale auxquels il nous fait assister, quelque chose qui m’émeut plus vivement que son enthousiasme d’autrefois, indistinct et de parti-pris, pour des singularités au sujet desquelles il y aurait beaucoup à dire. Jamais peut-être la supériorité de la religion chrétienne n’a reçu de sa part un hommage plus complet que dans les lignes suivantes : « A cet âge avancé du monde, l’élite des cœurs vouée au culte de l’infini n’aura-t-elle pas toujours sa maladie incurable et son tourment ? En attendant la forme inconnue, s’il en estime, de cette sainteté nouvelle qui perpétuerait, le fond de l’ancienne en le débarrassant de tout l’alliage, qui consacrerait les pures délices de l’âme sans les inconvéniens et les erreurs, et qui saurait satisfaire aux tendresses des Pascals futurs en imposant respect au bon sens des Voltaires eux-mêmes ; en attendant cette forme idéale et non encore aperçue, tenons-nous-en à ce que nous savons. Étudions sans impatience, admirons même, au prix de quelques sacrifices de notre goût, ces derniers grands exemples des hommes qui ont été les derniers saints ; admirons-les, quand même nous sentirions avec douleur que leur religion, leur foi ne saurait plus être la nôtre. Ils nous offrent de sublimes sujets à méditation. La grandeur morale de Port-Royal réside en eux… Port-Royal, après tout,