Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour parler politique aux voyageurs ? L’homme ne quittera-t-il donc jamais le misérable souci des choses passagères ?

A mesure que nous nous élevons, notre guide nous montre du doigt des points blancs au-dessus de notre tête ; nous regardons, croyant apercevoir des nids d’oiseaux de proie : ce sont des ermitages. Dans ces vertigineuses demeures, dérobées aux aigles, des solitaires ont maçonné leurs cellules entre les fissures du roc. En voici plusieurs, tous plus inaccessibles ; les anachorètes de cette nouvelle Thébaïde y vivent des aumônes en nature que les fidèles leur font passer de temps en temps. Si l’homme peut parvenir à dépouiller sa chair et son cœur pour devenir pur esprit, ce doit être dans un pareil site, qui tient à peine à la terre par ses horizons les plus désolés et qui touche de si près au ciel. Chacun de ces ermites a sa petite cloche qu’il sonne à l’heure de la prière : le tintement lointain nous en arrive, grêle et argentin, comme celui des clochettes des troupeaux dans les pâturages des Alpes.

Après avoir gravi pendant une heure les rudes lacets du sentier, nous débouchons subitement sur le plateau des Cèdres ; à quelques pas de nous, sur un tertre isolé, enseveli sous la neige les trois quarts de l’année, d’où la végétation est absente à ce point que même les maigres hôtes des sommets, les chardons du Liban dont parle le livre des Chroniques, n’y viennent plus, se dressent les arbres solennels, comme un défi aux lois de la nature. Ils sont une centaine, relativement jeunes pour la plupart ; six ou huit énormes troncs, pelés, écorchés, écimés par la foudre et mutilés par les tempêtes, conservent seuls encore, s’il faut en croire la tradition, le souvenir vivant des âges bibliques. Certaines facilités d’exploitation, absentes dans le reste de la montagne, pouvaient en effet désigner ce lieu aux ouvriers d’Hiram : le torrent que nous venons de remonter devait rouler les arbres jusqu’à la mer. Toujours est-il que c’est aujourd’hui le seul point du Liban où cette belle essence se soit maintenue ; l’excommunication, prononcée par le patriarche maronite contre celui qui porterait la main sur les arbres vénérés, les défend de la cupidité des bûcherons.

Suivant un touchant usage, le curé de Bcherreh est monté pour dire la messe aux voyageurs. Le père nous attend dans une petite chapelle de pierres sèches, élevée au milieu du bois, bien nue et bien froide : il a apporté deux chandeliers de fer et un crucifix, seuls ornemens de son modeste autel, construit, comme l’arche de Salomon, de cèdres équarris, cedris tabulatis, mais, grand désarroi, son clerc n’a oublié que l’Évangile, et il faudrait deux heures pour l’aller chercher. Nous ne trouvons qu’un moyen de sortir d’embarras. Je prends ma Bible latine, et je traduis en français la leçon du jour, que le drogman transcrit aussitôt en arabe. Le récit de