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Ce n’est pas que M. Penot soit un fabricant ou un ingénieur, il est médecin ; il n’est pas même originaire de Mulhouse, mais il l’a habitée plus de quarante ans, et l’a étudiée avec cette sûreté d’observation que donne la pratique médicale. Nul ne connaît mieux les ouvriers, ne les a suivis avec plus de sollicitude et souvent ramenés par de meilleurs conseils. Il n’est point d’industrie dans le pays dont il ne sache les origines et ne puisse raconter les développemens, citer en détail les progrès techniques. Voilà des titres suffisans pour établir la preuve qu’il parle de ce qu’il sait à fond ; il en est un autre qui complète et corrobore ceux-là. A diverses reprises et pour de longues périodes, il a été appelé à la vice-présidence de la Société industrielle de Mulhouse. Or cette société, de l’aveu de tous, est pour les fabrications de la Haute-Alsace un flambeau et un drapeau : en être l’un des titulaires passe pour une fonction honorifique et un brevet de compétence. A bon droit, de loin en loin, on décerne cet honneur à des membres de la société qui, en dehors de toute qualité spéciale, ont fait preuve de notions d’ensemble et peuvent ainsi, sur des questions épineuses, départager au besoin les opinions des gens du métier. On le voit, M. Penot a trouvé dans la Haute-Alsace un sujet qui lui est familier et où l’intérêt ne manque pas, depuis l’heure de sa réunion à la France et du mouvement d’ascension qui en fut la suite jusqu’à l’heure où la fatalité des événemens nous contraignait à la livrer à la Prusse. Il y a là bien des contrastes, des succès chèrement expiés, une ère de constantes prospérités tant que prévalut le génie de la paix. Ce qui importe surtout, c’est de dresser des détails de ce mouvement un inventaire exact, afin de pouvoir vérifier plus tard si la brillante situation acquise sous nos auspices n’aura pas dépéri pour d’autres causes et dans d’autres mains. C’est ce que nous allons faire en nous aidant du mémoire de M. Penot.


I

Pour prendre les choses à leur source, il faut les ramener à l’annexion de la petite république de Mulhouse, qui eut lieu en 1798, et aux commencemens de l’industrie du coton, qui date de la seconde moitié du dernier siècle. La république de Mulhouse n’avait jusqu’alors qu’une existence obscure et pour ainsi dire végétative ; réduite à quelques lambeaux de territoire, elle ne possédait qu’un domaine agricole très insuffisant, et n’avait pas même la conscience des destinées industrielles qui l’attendaient. A peine y comptait-on quelques ateliers où l’on fabriquait des draps sans réputation et de qualité médiocre, n’ayant d’autre marché qu’une consommation