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multiplièrent ; par cupidité, mais aussi par sentiment patriotique, on se lança dans une multitude de créations qui donnèrent lieu à Vienne aux spéculations les plus téméraires. Ceux qui furent témoins au commencement de l’année 1873 de la fièvre du gain qui s’était emparée de toutes les classes de la société avaient pu prévoir à coup sûr les désordres qui allaient se produire. Le succès des grands établissemens de crédit semblait promettre la même fortune à toute association destinée à l’achat et à la vente des valeurs, à la création de sociétés industrielles. On commença donc par mettre tout en sociétés, mines créées ou à créer, chemins de fer, usines, distilleries, brasseries, théâtres, etc. ; pour lancer ces affaires elles-mêmes, on multiplia les maisons de change, de commission. La prime obtenue sur les entreprises industrielles devenait la cause d’une prime sur les actions des banques elles-mêmes ; c’était tirer du même grain plusieurs moutures. Dans chaque quartier, presque dans chaque rue, étaient ouvertes des boutiques de change où les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, depuis les plus modestes jusqu’aux plus hautes conditions sociales, venaient spéculer sur des titres souvent sans base sérieuse, obtenant crédit moyennant le dépôt préalable d’une petite somme, ce que l’on appelle en termes vulgaires une couverture. Le nombre de toutes ces sociétés s’élevait à plusieurs centaines : une des catégories les plus remarquées fut celle des Bau-Banken (sociétés immobilières). Deux de ces banques avaient dans la construction des Ring, les nouveaux boulevards circulaires de Vienne, réalisé d’énormes bénéfices ; à leur suite, vingt-cinq ou trente sociétés immobilières surgirent pour se disputer et se revendre les terrains. Le prix du mètre dans certaines situations s’éleva jusqu’à 2, 500 et 3,000 francs. On poussa l’achat des terrains à 7 ou 8 kilomètres de la ville ; pour les utiliser, il aurait fallu compter sur un accroissement de population qui au train ordinaire des choses demanderait un siècle. Tout le monde étant ainsi entraîné dans un courant de hausse folle, le moindre choc devait tout culbuter : c’est ce qui arriva dans les premiers jours de mai par la chute de la Commission-Bank, d’autant plus remarquée que cette banque venait de recevoir tout île capital d’une société nouvelle d’omnibus à impériales couvertes formée pour l’ouverture de l’exposition. La première faillite entraîna tout : chaque jour vit de nouveaux désastres ; après les primes perdues vinrent les capitaux engloutis et les pertes non payées. Que de fortunes sombrèrent en un jour, que de riches la veille se trouvèrent pauvres le lendemain ! Plusieurs ne voulurent pas survivre à la ruine, et l’on se rappelle l’impression douloureuse causée par les suicides nombreux que la presse enregistrait chaque jour. L’émotion