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Pour venir chaque matin de Saïs à Naucratis, où Bartja voyait Sappho en secret, le prince et son confident Zopyre firent croire au bon Crésus qu’ils chassaient en ces parages la bécasse ou le pélican. Darius, fils d’Hystaspe, n’aurait pas été dupe ; mais c’était l’heure où il s’endormait, brisé de fatigue, après avoir observé les astres toute la nuit avec les prêtres d’Égypte. Seule, la sœur de Nitétis, la blonde et frêle Tachot, qui aimait en silence le frère de Cambyse, pressentit, devina tout, et tomba dans une mortelle langueur. Il fallut bientôt se séparer, car Cambyse attendait sa nouvelle épouse. Pendant le festin d’adieu que Rhodope offrait à ses amis, Mélitta, comme la dame Marthe du Faust, ouvre à Bartja la porte du jardin et le laisse auprès de Sappho. Il est nuit ; tout se tait dans la ville et sur le Nil, où l’image de la lune vagabonde à travers les fines couronnes des palmiers fait songer à un beau cygne ; le chant d’un rossignol passe parfois dans l’air tout chargé du parfum des acacias. Sappho prend sa lyre et murmure à l’oreille de Bartja une douce et plaintive chanson, en langue dorienne, du poète Alcman. « Adieu ; je t’aime ; encore un baiser ! » Telle est la litanie bien connue des amans ; mais Sappho est une Marguerite infiniment moins naïve que l’autre : elle veut être épousée, devenir l’épouse du fils de Cyrus et emmener sa grand’mère en Perse. Dès le lendemain, elle avoue à Rhodope qu’elle aime Bartja. Certes, en dépit d’innombrables baisers, cet amour est resté pur. La grand’mère ne peut pourtant manquer l’occasion de prononcer un discours : elle ne blâme point sa petite-fille ; elle l’exhorte même à conserver avec piété, ainsi qu’une sainte relique, les sermens d’amour du jeune âge ; la vie sera bientôt assez vide et sevrée d’illusions ! Voilà entre autres ce que lui inspire sa vieille expérience. D’ailleurs elle consent à tout, accueille Bartja et met sa main dans celle de Sappho. Les voilà fiancés.

Nitétis, la fille du roi d’Égypte, escortée des Perses et de Crésus, était partie pour Babylone. Elle traversait les riches et fertiles contrées qu’arrosent l’Euphrate et ses nombreux canaux. Des milliers d’embarcations grandes et petites descendaient le fleuve, transportant les produits de l’Arménie dans les plaines basses de la Mésopotamie. A quelques heures de Babylone, elle voit venir au-devant d’elle des êtres imberbes et sourians, à la mine servile et ironique, des anneaux précieux aux oreilles, les bras et la poitrine chargés de chaînes d’or, vêtus de longs vêtemens de femme, les cheveux bouclés et serrés au sommet par un bandeau de pourpre : c’étaient les eunuques du harem de Cambyse avec leur chef, le tout-puissant Bogès. Nitétis les reçoit avec hauteur, en princesse des bords du Nil, et laisse paraître qu’elle ne s’abaissera jamais, comme les reines d’Orient, devant ces esclaves efféminés. Elle distribue ensuite quelques souvenirs à ses amis. A Crésus, elle donne