Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre chez son père quelques jours de repos ; de cette maison où s’écoula son enfance, il écrit à son oncle le doyen, directeur du séminaire, et lui raconte naïvement l’emploi de son temps à la campagne. Ce système de roman par lettres, un peu usé peut-être, a cela de bon néanmoins, qu’il permet d’entrer plus avant dans le caractère du personnage, de faire par là même l’analyse de ses sentimens et de ses pensées, d’en noter les nuances, d’en marquer le progrès ; telle idée, telle réflexion, venant de l’auteur, semblera trop subtile ou maniérée, qui, dans la bouche du héros lui-même, est toute naturelle.

Ici la forme épistolaire convient à merveille, d’autant que l’analyse est plus délicate, et le caractère de Luis de Vargas plus complexe et changeant. Élevé pieusement à l’ombre du séminaire, loin des bruits de ce monde et des réalités terrestres, il ne sait guère de la vie que ce que lui en ont appris les métaphores hyperboliques de la Bible et les commentaires des théologiens, et cependant que de présomption, que de confiance en soi-même ! Comme il prend en pitié la tourbe des pécheurs ! Avec quelle humilité feinte il remercie Dieu de l’avoir élevé si haut et de l’avoir choisi entre tous pour être un exemple au monde ! L’habit sacré dont il est revêtu et le respect dont on l’entoure malgré ses vingt ans ajoutent encore à cette ivresse : il parle de sa vocation, il a déjà le ton sententieux et le jargon du sermonnaire ; mais qu’une femme à l’improviste se trouve sur sa route, que le péché se présente à lui sous ses formes les plus naturelles, aimable et séduisant, adieu la théologie, les pieux exemples et les argumentations des docteurs ! notre jeune saint faiblit, ses sens se troublent, sa tête s’égare, et il tombe éperdument amoureux comme le dernier des profanes et le plus simple des jouvenceaux.

L’occasion du péché, la femme en question, c’est Pepita Jimenez. Jeune fille sans fortune, elle a dû épouser son oncle, vieillard octogénaire, fin comme un renard et ménager comme une fourmi, mais bonhomme au fond, qui en mourant lui a légué tout son bien. À vingt et un ans, elle s’est trouvée libre, et les prétendans d’accourir ; mais Pepita ne se presse point de choisir. Elle n’a plus à faire un mariage de raison, et, quant à aimer personne, son cœur n’en éprouve pas encore le besoin ; elle préfère bien rester sa maîtresse et faire de son indifférence une vertu. Du reste elle ne dédaigne pas les hommages, l’odeur de l’encens ne lui déplaît pas, — car elle est coquette, cette Pepita, avec son affabilité légèrement hautaine et dédaigneuse, son goût pour les fleurs les plus simples, mais les plus parfumées, son gracieux costume andalou, qui tient tout à la fois de la villageoise et de la señora, et qui lui sied si bien ; elle le sait, n’en doutez pas. Il n’est pas jusqu’à sa piété trop vive et trop extérieure qui ne révèle quelque préoccupation sécrète et comme des désirs inavoués. Pénélope d’un nouveau genre, elle est là, n’attendant pas un mari, mais l’espérant peut-être, sauf à le vouloir à