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FLAMARANDE.

celles de gens qui ont trop de savoir-vivre pour montrer des émotions quelconques.

VI.

Ce tête-à-tête dura longtemps, et sans doute il y fut dit beaucoup de belles choses ; mais M. de Salcède n’y trahit point sa passion, car madame lui dit en élevant la voix qu’elle ne voulait point se promener, et qu’elle allait chercher son ouvrage. J’entendis distinctement : — Attendez-moi là. Je ne veux pas que vous bougiez ; je veux vous retrouver sur ce banc. — Elle partit légèrement, et je me glissai dans les bosquets naturels de l’esplanade, de manière à pouvoir entendre leur conversation. Je réussis à me placer assez bien pour voir la figure de Salcède. Durant ces quelques minutes d’attente, il eut les yeux fixés sur l’endroit par où la comtesse était sortie, et on eût dit une statue. Il avait la bouche entr’ouverte, les narines gonflées et une main sur sa poitrine, comme s’il eût voulu contenir les battemens de son cœur. Quand elle revint, il laissa tomber sa main et parut respirer. Elle s’avança vers lui, il s’était levé. — Rasseyez-vous, — lui cria-t-elle, et elle vint en courant s’asseoir à ses côtés en dépliant sa broderie.

Je les voyais alors en plein, et j’entendais leurs paroles. Ce fut une causerie très oiseuse. Madame parlait de faire rebâtir le château afin d’y passer les étés ; elle préférait ce site sauvage aux deux autres résidences que possédait M. le comte, l’une dans l’Orléanais, sur les bords de la Loire, l’autre en Normandie, en vue de la mer. Elle n’aimait pas toutes ces grandes eaux. Elle préférait les petits lacs et les torrens qui grondent ; elle trouvait d’ailleurs plus décent, quand on s’appelait Flamarande, de demeurer à Flamarande.

Le marquis n’abondait pas dans son sens ; il pensait que le comte ne se déciderait jamais à vendre sa terre de Normandie, où il avait été élevé, ni celle des bords de la Loire, où ses parens étaient décédés. Il connaissait le chiffre de la fortune de M. de Flamarande, dont madame ne paraissait pas se douter, jeune mariée et enfant qu’elle était. Il disait que pour remettre en état Flamarande il faudrait plus d’un million en comptant le chemin praticable à établir. C’était là une grosse dépense, devant laquelle le père et les ancêtres du comte avaient reculé. Gens du grand monde, ils avaient trouvé le pays trop triste, les communications trop difficiles et les dépenses à faire trop considérables : Flamarande avait été délaissé depuis plus d’un siècle. Madame parut se rendre à ces raisons, que je goûtais fort pour mon compte, l’idée d’habiter cet affreux coupe-gorge