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tournez à Flamarande, et renouvelez mon bail avec Michelin aux mêmes conditions que par le passé.

Je voulus me rendre à pied à Flamarande par la traverse, et, comme on me dit qu’un guide était nécessaire, j’en pris un. Ce fut le même Ambroise Yvoine, espèce de maquignon braconnier qui apportait de temps en temps des plants à M. de Salcède. Je fis bien, car le sentier était épouvantable, et j’y eus plus d’une fois le vertige ; mais j’étais résolu à m’aguerrir, et, comme j’avais une très bonne mémoire des localités, mes affaires avec Michelin terminées, je revins seul à Montesparre. Je commençais à trouver très beau et très intéressant ce pays, qui m’avait d’abord frappé de terreur.

Ces détails n’ont aucun intérêt, j’en tombe d’accord ; mais il faut bien que l’on sache’pourquoi le roman commencé sous mes yeux entre Mme de Flamarande et M. de Salcède offrit une lacune importante à mes observations.

Quand je me retrouvai libre d’esprit et maître de mes heures, je repris le cours de mes remarques. Le beau marquis avait été très vite guéri de sa blessure, il marchait comme un cerf et montait à cheval comme un centaure. M. le comte était, lui, très souffrant d’une maladie chronique qui alors n’avait pas de gravité, mais à laquelle il a fini par succomber. Il s’était fatigué à Flamarande et s’en ressentait encore. Il sortait donc le moins possible et jouait beaucoup au billard avec un vieux ami de la maison qui perdait régulièrement trois fois sur quatre ; puis il lisait, me dictait quelques lettres et faisait une sieste après midi. Pendant ce temps, Mme de Flamarande courait à cheval et en voiture avec Mme de Montesparre et cinq ou six personnes de leur intimité, parmi lesquelles M. de Salcède paraissait tenir le premier rang. On en causait à l’office. Les gens de la maison assuraient que Mme de Montesparre avait une préférence évidente pour le jeune marquis, et tous faisaient des vœux pour qu’il succédât au vieux baron de Montesparre, que personne ne regrettait. Il était bien jeune, ce bel Alphonse, pour devenir l’époux d’une veuve déjà faite ; mais il était si raisonnable, si studieux, si doux ! Il paraissait adorer le petit Ange de Montesparre, M. Ange, comme on l’appelait. Il lui serait un excellent père. Madame n’était pas, à beaucoup près, aussi riche que le marquis, mais qu’importe quand on s’aime ? Donc ils s’aimaient ; tout le monde le croyait, excepté votre serviteur.

VIII.

M. de Flamarande le croyait aussi, ou feignait de le croire. Un soir, pendant que je le déshabillais, sa femme étant restée au salon,