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château-fort. Ce tableau tout fait est majestueusement encadré par les montagnes que nous découvrons derrière au même instant ; les lignes des crêtes se coupent et se mêlent comme les hachures mal tracées d’un croquis, en se dégradant a chaque plan par nuances bleues toujours plus douces, depuis l’indigo sombre du Thabor, plus proche de nous, jusqu’à l’azur douteux des dernières montagnes de Samarie. Tout nous est nouveau et surprenant à mesure que nous pénétrons dans la riante petite ville ; elle sent, dirait-on, qu’elle doit se faire pardonner son origine obscure (la Bible n’en parle pas) par sa grâce actuelle. Nous arrêtons nos chevaux à une fontaine en pierres blanches, sous de beaux oliviers, en dehors des portes : de jeunes Juives d’une admirable pureté de type viennent y puiser l’eau à la chute du jour, soutenant de leurs bras repliés leurs grandes amphores posées sur la tête, drapées dans leurs voiles antiques, dans l’attitude classique et sculpturale des canéphores. C’est la Bible apparue toute vivante et éloquente : les mœurs primitives qu’elle raconte n’ont pas changé ; c’est encore à la fontaine qu’on accueille les étrangers, que se racontent les nouvelles et que se font les mariages comme au temps de Rébecca et d’Eliézer.

Nous nous engageons en suivant le petit ravin dans la ville ; nous arrivons sur la grand’place, où viennent se joindre, descendant au flanc des trois monticules, les trois quartiers des musulmans, des Juifs et des Algériens. Une tribu est venue s’établir ici de notre colonie d’Afrique, il y a quelque douze ans, à la suite d’une insurrection. Nos tentes sont dressées là ; par une coupure qui s’infléchit au sud, une large échappée de vue nous permet d’apercevoir un coin de la mer de Génésareth. Le beau lac révéré dort tranquille entre ses bords escarpés, dans une vasque de rochers aux tons d’or bruni ; la nappe bleue enchante le regard, qui finit par s’altérer d’eau comme la gorge dans ces montagnes brûlées de Palestine. Comment faire comprendre à ceux qui n’ont jamais quitté nos pays, gâtés par la verdure, le charme et la bénédiction de l’eau en Orient ? — Assis devant la tente, nous suivons avec un vif intérêt le mouvement de la place, très considérable pour un petit bourg arabe perdu dans ces déserts, et très varié par le mélange de la population. Les Juifs, bizarres et malpropres dans leurs souquenilles européennes, croisent humblement le Bédouin, aussi misérable et aussi sale, mais qui du moins marche fièrement, la tête haute. Les cheiks algériens, les soldats du mutésellim turc, passent au galop sur de beaux chevaux, — et toujours la procession des canéphores aux voiles blancs, qui vont des fontaines aux maisons. Devant les portes, dans de petits fours coniques en terre battue, de un à deux pieds de haut, les ménagères font cuire sous la cendre la galette plate, sans