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nous abritent, que les écharpes rouges oubliées par le crépuscule dans le ciel, par-dessus les collines qui restreignent le calme horizon de la petite vallée.

On sort de Nazareth par l’étroite crête de la montagne d’où les compatriotes de Jésus voulurent le précipiter ; des pentes boisées de chênes-verts, d’où l’on commence à voir la mer, conduisent dans les vallées latérales qui prolongent la plaine d’Esdrelon du côté du nord. Elles sont arrosées par le Kison, rivière respectable, pourvue d’eau, que nous passons à gué pour gagner le pied des montagnes du Carmel jusqu’à Caïpha, l’antique Sycaminum des Phéniciens. La ville est insignifiante et a l’aspect de tous les petits ports du Levant ; mais la végétation tropicale qui l’entoure nous charme par sa nouveauté. C’est le point de la côte où les palmiers commencent à se hasarder en nombre pour descendre en augmentant toujours jusqu’aux forêts de Gaza. Tout le long de la plage, les beaux arbres dressent leurs stipes élancés, sur lesquels le vent de mer fouette bruyamment les bouquets de palmes ; des figuiers, encore parés de leurs feuilles sous ce doux climat, des orangers, des nopals, se pressent à leurs pieds ; les pépinières de grenadiers qui mêlent leurs têtes jaunes aux blanches forêts d’oliviers donnent çà et là à la campagne l’apparence d’un échiquier d’or et d’argent. En face de Caïpha, de l’autre côté du golfe qui échancre profondément les terres, Saint-Jean-d’Acre sort de l’eau comme une tache brillante, tout rempli des souvenirs de l’héroïsme français, de saint Louis à Bonaparte.

C’est avec ce dernier boulevard de la chrétienté, abandonné par elle et investi par les mameluks de Malek-el-Aschraf, que s’effondra sans retour le royaume latin de Jérusalem le 18 mai 1291. On peut lire dans la relation, récemment publiée, de maître Thadée de Naples (Planctus pro civitate Acconensi), le récit des prouesses qui illustrèrent le dénoûment suprême de la lutte engagée depuis deux siècles entre les deux mondes d’Orient et d’Occident : la vaillance des templiers, le martyre héroïque du patriarche de Jérusalem, la sublime folie de ces deux cents prêtres qui marchèrent sans armes aux Sarrasins et se firent massacrer en chantant des cantiques. On surprend, dans les lamentations du chroniqueur contemporain, l’écho du cri d’effroi et de douleur qu’arrache au monde religieux cet irréparable désastre. Dévoûmens stériles ! la fièvre d’accès qui depuis deux siècles s’était emparée de l’Europe, la jetant à époques fixes sur les plages de Syrie, venait de s’éteindre ; durant deux cents ans, ce coin de terre-sainte avait fourni un aliment à toutes les ambitions, un idéal à toutes les gloires, un refuge à tous les quêteurs d’aventures, aux romanesques, aux désespérés,