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d’Hinnom, qui coupe à angle droit celle du Cédron ou de Josaphat. Au-delà, le mont du Scandale se rattache aux élévations de terrain qui bornent l’horizon. Pas d’eau, pas de végétation, aucune trace de vie dans ces vallées poussiéreuses et consternées ; seul, le mont des Oliviers arrête le regard par quelques traces de verdure pâle et sobre, comme il convient à un cimetière. Dans le triangle compris entre les deux ravins, sur les pentes abruptes et les petits monticules du plateau, une ville assombrie, terne et singulière, relevée par quelques dômes noirs, apparaît distinctement dans son enceinte de hautes murailles. L’œil y discerne tout d’abord une large coupole, isolée au milieu d’une plate-forme vide, surplombant le ravin de l’est ; c’est la mosquée d’Omar, l’ancien temple, sur le Moriah. Plus haut, deux dômes inégaux tranchent sur l’uniformité des toits en terrasse : c’est le Saint-Sépulcre. A l’extrémité ouest, sur les hauteurs du mont Sion, la tour massive de David domine l’enceinte ; mais comment faire comprendre à qui ne l’a pas ressenti le caractère d’indicible tristesse qui relie tous ces détails comme la note dominante d’un tableau et saisit dès le premier regard ? Chaque pierre de ce paysage sue la tristesse : la ville et ses entours semblent étouffés sous un uniforme linceul gris. Aucun des bruits, des mouvemens, des signes de vie qui annoncent l’approche des centres habités ne s’en échappe ; on dirait un immense couvent, mieux encore une agglomération de tombeaux, plutôt qu’une réunion d’êtres vivans. On se la figure involontairement bâtie de ruines et de cendres cimentées avec des larmes, on pense à ces « cités dolentes » veuves d’espérance et de lumière, faites de vaines apparences et d’ombres silencieuses, que Dante a rencontrées dans le voyage infernal, à cette terre effrayante du rêve de Job, « terre obscure et couverte des vapeurs de la mort, terre de misères et de ténèbres, d’où l’ordre est banni, où habitent l’ombre de la mort, le chaos et la sempiternelle horreur. »

Notre petite troupe me rejoint et s’arrête, elle aussi, avec un même cri, comme les guerriers du Tasse :

Gerasalemme unanimi salutano.


Nous descendons la colline et rejoignons à la porte de Damas les murailles, que nous contournons pour aller camper dans un champ contre la route de Jaffa. Je dois confesser ici, pour être véridique, que de rudes désillusions attendent le pèlerin dans ce faubourg. Sa tente est adossée au « Café du Jourdain, » où des Grecs jouent au billard et discutent bruyamment la politique locale. Il ne faut rien moins, pour lui faire oublier ce dur rappel au temps présent, que