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de quitter l’île, une assez forte proportion des pensionnaires s’échappe, et l’on compte chaque année une centaine d’évasions. Ainsi en 1871 il y avait en traitement dans l’asile des ivrognes 1,718 patiens, hommes et femmes, dont 109 se sont enfuis. Si l’on veut savoir comment se répartissaient les pensionnaires sur le chiffre total par sexe et par catégorie, nous dirons qu’il y avait cette année-là environ un tiers de femmes, et que le sixième à peu près des pensionnaires payaient leur pension.

Une fois leur traitement achevé, les ivrognes de l’asile retournent chez eux et retombent bien vite, pour la plupart, dans leur funeste habitude. Leur séjour à l’île de Ward ne s’étend guère au-delà de quelques mois, d’une année au plus, qu’ils soient venus librement ou par force. Aussi est-il rare qu’une station aussi courte, bien qu’on les éloigne soigneusement de toute tentation, de toute occasion de boire et de s’enivrer, les amende réellement. Il en est qui ont été envoyés jusqu’à six fois à l’asile. Ils arrivent en proie à l’ivresse brutale qui les domine entièrement, c’est le cas le plus général. On les soigne, on les guérit, et ils s’en vont. Bien peu ont profité de ce séjour, qui n’est jamais assez prolongé, et ceux qui y ont réellement gagné ont dû plutôt leur réhabilitation physique et morale à leur force de volonté seule qu’à toute autre cause. Quant aux condamnés, il ne faut évidemment attendre d’eux aucune amélioration sensible. Ils se regardent comme en prison dans l’asile, et cela avec assez de raison. A peine en liberté, ils recommencent à boire de plus belle ; la privation n’a fait qu’exciter et allumer plus vivement chez eux la passion trop longtemps inassouvie. Dans l’asile, ils n’ont qu’un but, vers lequel ils tendent obstinément, se procurer de l’alcool en cachette, par contrebande, et souvent ils y arrivent, car toute manie met en jeu pour se satisfaire les plus ingénieux stratagèmes. S’ils n’y peuvent réussir, ils usent de la dernière ressource qui leur reste, ils cherchent à s’évader.

L’opinion presque générale sur les asiles d’ivrognes est que ces sortes de maisons produisent rarement le bien qu’on en espère. C’est pourquoi il était dernièrement question, près le département de charité et de correction de New-York, de supprimer l’asile de l’île de Ward, ou du moins de lui donner une autre destination ; mais le conseil du département fit judicieusement observer aux commissaires que ce qu’un acte de la législature avait fait, un acte seul de la législature pouvait le défaire. Quelques personnes non moins prudentes hasardèrent aussi l’avis qu’il était peut-être un peu tôt pour condamner une institution qui n’en était qu’à sa sixième année d’existence, et qu’il était bon d’attendre de nouvelles et plus complètes épreuves. Il a donc été décidé que les choses resteraient