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portraits en pied, quelques paysages hardis, qui indiquent une main sûre d’elle-même et un talent remarquable. Celui-là n’est plus fou le crayon à la main.

Deux choses nous frappent à tous les étages qu’on nous fait visiter : la discipline qui règne partout, le calme de la maison. Tout pensionnaire obéit à un signe des gardiens. Volontiers on demanderait comme cet Anglais qui faisait dans son pays une visite de ce genre : « Où sont donc les fous ? » Ici, comme dans tout groupe social, naissent des sympathies et des antipathies invincibles. Les uns se prennent dès le début d’une affection durable, les autres ne peuvent mutuellement se souffrir, se menacent, s’injurient le premier jour, finissent par s’éviter avec soin. Il y a parmi ce monde des sujets de toutes les nationalités : des Américains en grand nombre, puis des Irlandais et des Anglais, des Allemands, des Français, des Italiens, des Suisses, des Suédois ; toutes les races que l’émigration amène aux États-Unis envoient ici quelque représentant.

On opère quelques guérisons certaines ; d’autres partent, que l’on croit guéris, et reviennent bientôt. Le régime de la maison, qui est si doux, et laisse les patiens dans une sorte de liberté relative, contribue puissamment à l’amélioration de leur triste état. Les temps sont loin où les fous étaient regardés, en Europe par exemple, comme des espèces de possédés démoniaques, que l’on enfermait dans d’affreuses cellules, d’immondes cabanons, privés d’air, d’espace, de lumière. Ici on les soigne comme des malades, on cherche à les distraire comme des convalescens. De temps en temps, on leur donne une représentation théâtrale, une exhibition de lanterne magique, un dîner de gala, un bal, un concert. C’est la maison ou quelque citoyen généreux qui fait les frais de ces petites fêtes. Les fous s’y amusent de tout cœur et en parlent longtemps entre eux. Ce traitement, pour ainsi dire paternel, égaie les pauvres patiens, détend utilement leurs nerfs. Il ne manque pas de produire les effets qu’on en peut attendre, et tel qui est entré complètement fou dans l’asile en sort au bout de quelque temps entièrement rétabli. Il faut joindre à ce régime à la fois si rationnel et si bienfaisant la vue d’une campagne ravissante, un air pur, une exposition des plus hygiéniques, une attention médicale de tous les instans, des soins délicats de tout genre, quelques promenades au dehors. Tout cela agit profondément sur le moral des pensionnaires ; ils sont relativement calmes, reposés, contens, et l’on sort de cette maison sans l’impression pénible qui accompagne d’habitude ce genre de visite.

C’est en 1871 que l’établissement de l’île de Ward a été ouvert. C’est un vaste édifice de style gothique, à quatre étages, qui comprend un corps de logis central où réside l’administration locale, médecin, directeur, gardiens, et quatre ailes réservées aux patiens.