Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

payer de droits. J’ai été témoin de ces faits en 1867 et 1868. Nul marchand ne s’en cachait, on en causait publiquement. On avait de faux instrumens pour doser le degré de force du liquide, ou plutôt on ne mesurait, on ne vérifiait rien ; on poinçonnait à l’aventure des barils vides ou pleins d’eau. Au départ des navires, on rendait aux armateurs, comme drawback, le montant des énormes droits payés au fisc sur ce wisky imaginaire, et les armateurs partageaient fraternellement la somme avec tous les intéressés. Une fois en mer, le capitaine, qui était du complot, jetait les tonneaux par-dessus bord, ou bien il feignait de les consigner à destination à un correspondant qui n’existait pas, et le tour était joué. Que de fois les consuls entre les mains desquels on remettait cette cargaison fantastique durent écrire à leur gouvernement qu’ils n’avaient pu parvenir à trouver, le cosignataire de ces encombrans colis ! On sondait, on ouvrait de guerre lasse ces tonneaux, on reconnaissait qu’ils ne contenaient que de l’eau pure. À la fin, l’opinion publique irritée se souleva : ce fut comme un immense cri de colère parti des quatre coins de l’Amérique du Nord. Force fut de faire une enquête ; il y eut des gens compromis jusque dans l’entourage du président. La première chose qu’on décida à la suite de cette enquête fut d’abaisser les droits sur l’alcool, ce qui arrêta la fraude, et fit rentrer tout de suite un peu plus d’argent dans les caisses du trésor.

Sur le terrain glissant des abus, le département de charité et de correction de New-York, auquel il faut bien une dernière fois revenir, n’a pas été lui-même à l’abri de toute atteinte ; il a été accusé, lui aussi, de quelques malversations. Bien que tous les services en semblent menés avec assez d’ordre et d’exactitude, tout récemment, au mois de septembre 1874, quelques plaintes se sont fait jour par la voix de la presse sur le maniement irrégulier, abusif, des fonds confiés à ce département. On vient de voir que la municipalité qui à New-York avait précédé celle qui est encore aujourd’hui en place et qui dirige tant bien que mal le gouvernement de la cité avait donné lieu à des plaintes et des récriminations encore plus vives, sinon pour les choses de charité et de correction, au moins pour d’autres départemens urbains. Cette fois le débat n’a pas eu l’éclat retentissant du premier. Il n’était pas clos au mois d’octobre, quand nous avons quitté New-York ; mais il est vidé à cette heure, et les prévenus ne sont pas sortis tout à fait intacts des attaques lancées contre eux : le maire, depuis subitement décédé, M. Havemeyer, s’y trouvait lui-même impliqué. Il y avait là avant tout, il faut le dire, une manœuvre de parti, et les partis en politique sont impitoyables, surtout au moment des élections.

Ce qui est certain, c’est que le nouveau département de charité et de correction, issu de cette crise, fera encore mieux son devoir