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et si la valeur du litige excède 4,000 aspres (environ 150 francs), l’affaire doit être portée à Constantinople et jugée par le divan impérial. Quant aux procès entre étrangers de nationalités différentes, la compétence est réservée aux ambassadeurs qui résident à Constantinople, à moins que les parties ne consentent à se laisser juger par les tribunaux turcs. — Ces règles, tracées par la capitulation de 1740, ont reçu dans la pratique diverses modifications. Ainsi l’obligation de porter au divan impérial les procès dont l’importance excède 4,000 aspres n’est pas observée ; ces affaires, dans l’intérêt même des justiciables, sont généralement jugées par les tribunaux locaux. D’un autre côté, pour les procès entre étrangers de nationalités différentes, l’usage a introduit la compétence du tribunal consulaire représentant la nation du défendeur.

Ces dispositions montrent que la volonté formelle de la France et des autres nations européennes qui à sa suite ont traité avec la Porte a été de soustraire autant que possible les étrangers à la compétence des tribunaux turcs, de n’admettre cette compétence que dans les cas où il n’est évidemment pas possible de la contester, par exemple lorsque les sujets ottomans sont en cause, enfin de ne l’accepter qu’en l’accompagnant de garanties tout exceptionnelles en faveur des étrangers, tant pour la procédure de l’instance que pour l’exécution du jugement. Ce n’est point que l’Europe ait voulu marquer à l’égard de la justice turque une défiance qui eût été injurieuse, et contre laquelle aurait protesté l’orgueil des sultans. L’ambassadeur de François Ier n’aurait pas obtenu de Soliman la capitulation de 1535, s’il avait employé de tels argumens. C’est qu’en réalité il était absolument impossible de soumettre les chrétiens à un code qui n’est autre que le Coran. Les chrétiens ne l’auraient point toléré, les musulmans ne le désiraient pas davantage. Il y a entre le code turc et les codes européens des différences fondamentales quant au principe des peines, à la nature des châtimens, aux formes de la procédure. Le Coran est fait pour la société musulmane. En stipulant que les chrétiens n’y seraient pas assujettis, les sultans faisaient acte de dignité et de foi religieuse, et les négociateurs européens tenaient compte en outre des intérêts de leurs nationaux. Les exceptions et privilèges consentis ainsi de part et d’autre résultaient de la force des choses. Au surplus, à l’époque des capitulations, ils ne pouvaient avoir qu’une application très limitée. Les résidens européens en Orient étaient peu nombreux, ils n’y étaient attirés que par les opérations d’un négoce qui avait alors peu d’activité, et les gouvernemens européens ne tenaient pas à voir se multiplier leurs colonies dans une région où le fanatisme religieux, l’antagonisme des races et l’opposition