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de désigner par là les longs et ennuyeux sermons, les périodes sonores et creuses, véritables ballons pleins de vent. Ce fut fini pour cette fois. Un autre orateur, se croyant mieux inspiré, voulut entrer en communion avec son auditoire. Il venait de leur lire l’admirable parabole du pharisien et du publicain : « Savez-vous, mes jeunes amis, ce que représente le publicain ? » Et les enfans, jouant sur ce mot, qui en anglais signifie cabaretier : « Monsieur, c’est un alderman qui tient une buvette. » Ou encore : « Si votre père et votre mère vous abandonnent, qui prendra soin de vous ? — La police, monsieur, la police ! » Nous passons sur les mille propos grossiers que ces enfans disaient tout haut et que l’on avait peine à réprimer, pendant que d’autres, dès leur entrée dans la salle, y devenaient la cause des plus graves désordres. Tout cela fit qu’on dut bientôt renoncer entièrement à ces meetings. Loin de se décourager d’un insuccès qu’il n’avait point prévu, M. Brace persista dans ses efforts ; mais il comprit qu’il y avait autre chose à faire, et attendit.

Ce que nous venons de raconter se passait en 1848. En 1852, le mal qu’on avait inutilement essayé d’enrayer avait fait d’énormes progrès, et le chef de la police municipale, le capitaine Matsell, signalait dans un rapport spécial, qui fit une sensation pénible, la triste condition et l’augmentation toujours croissante des enfans des rues. Il en évaluait alors le nombre à 10,000. Ce chiffre a triplé aujourd’hui, et cette rapide augmentation s’explique, car, si la population de New-York dans son ensemble a doublé depuis vingt ans, la progression a été plus forte pour les classes pauvres, par suite de l’afflux toujours plus considérable des immigrans.

Ce fut à la suite du rapport du capitaine Matsell que M. Brace, soutenu par quelques hommes de cœur qui l’avaient déjà suivi dans ses premières tentatives, rejoint par d’autres, tous des plus honorablement connus, imagina de fonder pour les enfans des rues des espèces de logis à la nuit, des lodging-houses, où « ces petits bédouins du ruisseau, ces rats de gouttière, » comme la presse et la police les appellent, viendraient spontanément, sûrs d’y trouver un abri confortable. Où ces enfans dormaient-ils, même par les froids piquans de l’hiver, qui est si rigoureux à New-York ? En plein air, sur le pas des portes, sous la voûte des escaliers extérieurs, dans des caisses abandonnées, dans de misérables greniers, au fond de vieilles caves en ruines, près des piles de bois des quais. Pieds et têtes nus, couverts de haillons, grelottans, ils s’entassaient là les uns contre les autres pour avoir chaud, et sommeillaient comme ils pouvaient. Par momens, la police faisait des razzias et les envoyait au pénitencier, à l’asile ; mais après il fallait bien les relâcher, s’ils