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de quelques contours nouveaux nos cartes géographiques. Sans doute les récentes découvertes n’ont pas achevé de percer le mystère dont s’enveloppe le monde arctique ; mais à force de volonté, et grâce aussi à la connivence du hasard, parfois propice aux navigateurs, on a conquis, à des latitudes tout à fait extrêmes, des points de repère importans. Il existe, on le sait, quatre routes distinctes pour aborder le bassin des mers de glace : l’une, le détroit de Behring, est formée par la déchirure qui se trouve entre la pointe nord-est de l’extrême Asie et les promontoires très déchiquetés de la côte nord-ouest de l’Amérique septentrionale ; c’est celle que se proposait de prendre, s’il ne fût mort inopinément en soldat, le Français Gustave Lambert dans cette gigantesque expédition dont le monde savant suivait avec tant d’intérêt les préparatifs. Une seconde route, la mer de Baffin, s’ouvre entre les rivages occidentaux du Groenland et le vaste archipel qui commence à la baie d’Hudson. Cette double entrée des mers arctiques a été longtemps le passage de prédilection des marins anglais et américains. L’Europe aujourd’hui semble préférer deux voies plus rapprochées d’elle, qui passent l’une le long de la côte orientale du Groenland, l’autre entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble.

Ces dernières routes avaient été jadis fort frayées par les grands navigateurs hollandais tels que Barentz ; mais ensuite elles avaient paru abandonnées. L’homme qui les a de nos jours remises en faveur, c’est le directeur des Geographische Mitlheilungen, M. Auguste Petermann. De très longues études avaient donné à ce géographe la conviction que le grand courant chaud qui sort du golfe du Mexique entre la Floride et l’île de Cuba et se dirige vers le nord en longeant les côtes de l’Europe devait avoir une extension septentrionale plus considérable qu’on ne pensait. Une première fois, au mois de juillet 1865, M. Petermann développa cette thèse devant la Société géographique allemande siégeant à Hambourg ; appuyé sur d’innombrables expériences de sondage et de thermométrie, il démontra la présence probable du gulf-stream à des latitudes excessivement élevées, et conclut qu’à partir du Spitzberg, la barrière des glaces une fois franchie, on devait trouver un océan navigable. Les passages que nous connaissons seraient dès lors des ouvertures conduisant à une sorte de méditerranée arctique, vers laquelle on pourrait cingler en droite ligne, au lieu de se consumer en fouilles périlleuses et inutiles dans les méandres du grand labyrinthe circumpolaire. Ces hardies déductions ne laissèrent pas de rencontrer des contradicteurs très ardens, surtout en Amérique et en Angleterre ; mais cinq années plus tard, en 1870, M. Petermann, revenant à la charge avec les données d’un travail plus complet encore, surmonta toutes les controverses. Il put établir que le courant chaud s’avance jusqu’au Spitzberg et jusqu’à la Nouvelle-Zemble au-delà du 80e degré, et qu’à part quelques embranchemens latéraux il envoie sa masse principale vers le