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eurent remis les flots en mouvement et délivré le Polaris des entraves qui le retenaient, on se hâta de redescendre vers le sud. Le retour n’alla pas toutefois sans encombre. Le bâtiment subit une pression terrible ; une partie des hommes, fortuitement séparés de leurs compagnons, durent se réfugier sur un glaçon où ils restèrent misérablement échoués pendant deux cent quarante jours. Ce glaçon, comme celui qui avait porté les épaves de la Hansa, s’en alla dérivant vers le sud et se rétrécissant à vue d’œil jusqu’à ce que, le 30 avril, les naufragés fussent aperçus par un vapeur de passage. Quant au reste de l’équipage du Polaris, obligé d’abandonner le bâtiment, qui faisait eau, il avait passé l’hiver à l’île Littleton, d’où il était reparti l’été suivant sur deux chaloupes qu’avait recueillies en route un baleinier écossais.

Toutes ces odyssées, si curieuses et si émouvantes qu’elles soient, paraissent effacées par le récent périple du vapeur Tegethoff, dont l’Europe n’a connu qu’au mois de septembre dernier les péripéties presque fabuleuses. A peine rentrés de leur exploration de 1871, les lieutenans Payer et Weyprecht s’étaient mis en devoir d’en préparer une nouvelle. Rien ne fut négligé pour donner à cette entreprise, exclusivement austro-hongroise, un caractère de grandeur inaccoutumé. Deux éminens amis des sciences, les comtes Wilczek et Zichy, y prêtèrent leur concours matériel et moral ; la Société royale de géographie provoqua dès le mois de février 1872 la formation d’un comité spécial où figurèrent les noms les plus illustres de l’aristocratie autrichienne, et qui eut bientôt réuni des sommes considérables. L’équipement des voyageurs fut l’objet d’une sollicitude minutieuse ; on voulait qu’ils pussent au besoin, sans redouter le froid et la neige, s’éloigner durant des mois entiers à des centaines de milles du navire. Le but principal de la mission était d’étudier les régions inconnues de la mer polaire qui sont au nord de la Sibérie, et de voir s’il était possible de gagner par cette voie le détroit de Behring ; ce n’était qu’en seconde ligne et par une sorte de pis-aller que l’exploration se devait tourner vers les latitudes tout à fait extrêmes ; il ne lui était permis de s’aventurer dans la direction du pôle que si, au cours de deux hivers et de trois étés, elle ne réussissait pas à doubler le promontoire extrême de l’Asie. Le point de départ officiel de l’excursion scientifique était la côte nord de la Nouvelle-Zemble.

Le Tegethoff, ayant à bord vingt-quatre personnes, prit la mer à Tromsoé (Norvège) le 14 juillet. Quelques jours après appareillait du même port un yacht à voiles où se trouvait le comte Wilczek en personne, qui allait établir sur un point oriental de l’Océan-Arctique un dépôt de charbon et de provisions de bouche pour le Tegethoff. Le 21 août, à la hauteur du cap Napan, entre la Nouvelle-Zemble et l’embouchure de la Petschora, le yacht perdit définitivement de vue le