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FLAMARANDE.

Vous êtes adroit et intelligent. Comme vous avez appris à conduire, apprenez à vous transformer ; ce que l’on ne sait pas, on l’improvise.

Le lendemain, l’enfant fut baptisé provisoirement, c’est-à-dire ondoyé dans la chambre de sa mère. À midi, le comte me manda chez lui. — Vous êtes fort troublé, me dit-il ; je vois que vous ne m’aiderez pas ici. Prenez Zamore et le coupé, et rendez-vous à ma ferme de Montcarreau pour toucher l’argent qui m’est dû. Vous attendrez la nuit pour en partir, et, au lieu de rentrer ici, vous irez m’attendre à l’entrée du bois Verson, à l’endroit où je vous ai parlé, il y a huit jours, des affaires de Montcarreau.

Quand Joseph me remit Zamore, voyant que j’avais fait grande attention à la manière dont il s’y prenait pour l’atteler : — Je pense, me dit-il, que la joie d’avoir un héritier a un peu troublé la cervelle de M. le comte. Vous charger de conduire Zamore ! c’est sérieux, ça ; y avez-vous pensé, monsieur Charles ?

— J’y penserai en route, répondis-je. Je n’ai pas de réflexion à faire avant d’obéir.

La ferme de Montcarreau était assez proche, et les chemins n’étaient pas défoncés par là. Le fermier me remit l’argent, et j’acceptai son dîner afin de gagner la soirée. J’étais dans une agitation inexprimable, mais je me contenais. Enfin la nuit vint, sombre et pluvieuse. Je me rendis au bois Verson, où j’attendis une heure. Je passai ce temps à caresser Zamore pour l’empêcher de casser tout. Le pauvre animal ne comprenait pas pourquoi, étant si proche du château, je ne le faisais pas rentrer, et moi, en le caressant, je pensais tristement : — Tu ne sais pas, Zamore, que tu n’y rentreras jamais !

XXIII.

Enfin à dix heures j’entendis dans l’obscurité les faibles vagissemens de l’enfant, qui approchait rapidement. M. le comte conduisait résolument la Niçoise à travers les sentiers du bois. Il la fit monter dans le coupé sans dire un mot, monta sur le siège et conduisit pendant près d’une lieue, qui fut franchie en dix minutes. Alors il me dit : — Voilà le train dont il faut marcher. Je connais mon Zamore, il ira de cette allure jusqu’à trois ou quatre heures du matin. Vous serez alors près de Vierzon. Arrêtez-vous pour lire mes instructions détaillées que voici ; ne les perdez pas.

Il me remit un papier, sauta à terre et disparut.

Zamore était une bête admirable, M. le comte l’avait payé dix mille francs et disait l’avoir eu pour rien. Il n’était terrible que