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FLAMARANDE.

XXXII.

Je feignis beaucoup d’étonnement et fis mille questions pour voir comment Michelin y répondrait. — Si je savais quelque chose, reprit-il, je vous le dirais sous le sceau du secret, car vous êtes homme de bon conseil et vous représentez notre maître ; mais je n’ai rien à confier, je ne me doute absolument de rien ; personne n’y comprend goutte. On n’a pas vu ici la figure d’un étranger depuis plus de deux mois. J’ai eu l’idée d’aller hors de chez nous pour savoir si on avait vu passer du monde avec un enfant de trois ou quatre ans sur le chemin de la Violette ou sur celui de Montesparre ; mais, à vous dire la vérité, je ne souhaitais pas beaucoup m’informer. Si j’avais retrouvé les parens, ils eussent repris le petit, et j’avais intérêt et plaisir à le garder. Bien m’en a pris de ne pas être trop curieux, car il y a quatre jours j’ai reçu une lettre que je vas vous faire lire.

Ici Michelin me montra la lettre que je lui avais écrite, et moi, voulant connaître à fond ses intentions, je lui demandai si la somme promise lui paraissait suffisante pour qu’il se chargeât d’un enfant infirme. — D’abord, répondit-il, l’enfant n’est ni muet ni sourd. Il parle un langage que nous n’entendons point du tout, mais il commence à gazouiller des mots que nous lui apprenons, et il apprendra peu à peu, car il a de l’esprit. Seulement il est encore triste et pleure de temps en temps en réclamant sa marna. Il a donc une mère, et nous voyons bien, à l’argent qu’elle donne et qu’elle promet, qu’il n’est point abandonné. Nous avons tout intérêt à le rendre heureux et à le garder longtemps, car, dans nos pays où l’on fait si peu de dépense pour vivre, la pension qu’on annonce est une fortune pour lui et pour nous.

— Si on vous tient parole ? Ne craignez-vous pas que le billet de mille francs ne soit tout le bénéfice que vous aurez ?

— Il en sera ce que Dieu voudra, monsieur Charles. Si l’argent n’arrive pas, nous ferons notre possible pour découvrir les parens ou les tuteurs, c’est notre devoir ; mais si nous ne découvrons rien, eh bien ! nous sommes des gens à qui, de père en fils, on n’a rien eu à reprocher. Nous garderons l’enfant, nous relèverons comme s’il était à nous, et, l’âge venu, s’il est bon sujet, nous l’établirons du mieux que nous pourrons.

Michelin ne se vantait pas, il était homme d’un suprême bon sens, charitable et juste. Ce n’était plus tout à fait un paysan ; son père lui avait fait donner une certaine éducation, il savait lire, écrire et compter passablement. Il avait quelques notions d’histoire et de