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méthodes pour sa première éducation. M. le comte faisait quelques visites, montait à cheval, ou s’enfermait avec moi dans son cabinet pour lire des livres nouveaux et les journaux.

Ainsi, malgré la brillante fortune et la grande existence de M. le comte, nous avions des occupations tranquilles et sérieuses. J’étais trop dans les affaires de M. le comte pour ne pas savoir qu’il avait beaucoup entamé son capital avant son mariage, et qu’il ne se trouverait au pair de son revenu qu’en vendant une de ses terres. Il en était question, et je le voyais avec chagrin s’obstiner à garder Sévines, qui était triste par lui-même et ne pouvait rappeler à madame que des souvenirs douloureux. Lorsque je le pressais de prendre un parti plutôt que de payer des intérêts en pure perte, il alléguait que sa dépense n’était pas considérable. — Mme de Flamarande a une grande qualité, me dit-il un jour ; elle n’est pas mondaine, elle n’a pas la passion des bijoux et des chiffons. Je ne connais pas de femme dans sa position qui dépense moins. Quand je l’ai épousée, on a dit qu’elle me ruinerait, et on s’est grandement trompé.

Je saisis avec empressement cette occasion de faire l’éloge de Mme Rolande, et je le fis avec une vivacité qui frappa M. le comte.

— Dieu me pardonne, Charles, dit-il avec son rire le plus lugubre, vous vous montez la tête ! Moi qui vous croyais si calme !

J’étais monté en effet. Je donnai un libre cours à mon effusion. — Non, monsieur le comte, m’écriai-je, je ne suis plus calme ; vous avez tué mon repos, vous avez à jamais troublé mon sommeil. Oh ! vous pouvez bien me regarder avec votre œil terrible, vous pouvez lire jusqu’au fond de mon cœur, vous n’y trouverez qu’un amer chagrin, celui que je me flattais de ne jamais connaître, le remords d’une faute.

— Pourquoi ne pas dire un crime ? reprit M. le comte avec ironie.

— Je ne dirai pas un crime, répondis-je avec feu ; je dirai le mot vrai, une lâcheté ! Oui, vous m’avez fait commettre une lâcheté ! Je vous suis si dévoué que, si vous m’eussiez ordonné d’aller étrangler M. de Salcède, je n’aurais pas reculé. J’aurais pu m’en repentir, mais non pas en rougir comme de ce que j’ai fait, car j’ai fait la guerre à une femme et à un enfant, à deux êtres hors d’état d’offrir la moindre résistance. Une femme en couches et un enfant né de la veille, le bel exploit vraiment ! Oh ! oui, j’en rougis, et ne recouvrerai jamais l’estime de moi-même.

Le comte de Flamarande était devenu très pâle à mes premières paroles. Certes il avait eu envie de me jeter par la fenêtre ; mais on ne se brouille pas avec son unique confident. Il se contint et me parla avec douceur. — Vous êtes très exalté, mon pauvre