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vive voix le souverain pontife « à l’occasion de ce bienfait mémorable. » Ne pouvant s’absenter, il se contenta de lui écrire, et mit à la disposition du saint-père le surcroît d’autorité qu’il venait d’obtenir. En attendant le délai convenu, Jean poursuivit ses études à l’université de Pise, tandis que son père se mettait pour lui en quête de nouveaux bénéfices, sans même attendre la mort des titulaires. Ce n’était point encore assez, Laurent souhaitait que la nomination de son fils fût rendue publique avant les trois ans, afin que celui-ci pût prendre part au conclave que la santé précaire du pape annonçait comme prochain. C’est en vain qu’il insista sur ce point. Tout en protestant qu’il était disposé à traiter en fils le cardinal Jean, Innocent VIII ne céda pas. Le 9 mars 1492 seulement, la bulle pontificale fut ouverte et lue par-devant notaire. La cérémonie eut lieu dans l’abbaye de Fiesole, où l’église et le cloître rappelaient la munificence des Médicis. Cette cérémonie du reste n’était que le prélude des fêtes qui accompagnèrent l’entrée et le séjour du jeune cardinal à Florence avant son départ pour Rome. Laurent était au comble de ses vœux, au faîte de sa puissance ; il ne lui restait rien à désirer..Innocent VIII pouvait mourir, et il mourut bientôt après (25 avril 1492).

Si l’on peut reprocher à Laurent la pression qu’il exerça sur Innocent VIII pour procurer à un enfant des fonctions qui exigeaient au moins la maturité de l’esprit, on doit constater qu’il s’efforça d’inspirer à son fils des sentimens à la hauteur d’une dignité si éminente. Les conseils donnés à Jean dénotent une élévation morale, une sagesse politique, un tact et une mesure vraiment admirables. Ces conseils, rédigés par Laurent lui-même et publiés par Roscoe avant de l’être par M. de Reumont, semblent au premier abord un peu surprenans sous la plume d’un homme qui, dans sa vie, n’était rien moins que régulier, et qui manifesta souvent un respect médiocre pour les dignités comme pour les dignitaires ecclésiastiques ; mais l’étonnement cesse lorsqu’on réfléchit aux contrastes qui abondent dans le caractère de Laurent. L’esprit de ce personnage avait une souplesse extraordinaire, était capable des plus hautes spéculations. Laurent passait sans peine des chants carnavalesques à l’étude de Platon. Après avoir accompli quelque équipée galante, il dissertait avec éloquence sur la vertu ou sur l’immortalité de l’âme. C’est cette souplesse d’intelligence, c’est l’aptitude à tout sentir, à tout comprendre, à tout admirer, qui fit du maître de la république florentine et du politique avisé le protecteur des lettres, des sciences et des arts, le représentant par excellence d’une époque complexe dont il seconda les aspirations avec un zèle et une autorité sans pareils.