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d’or. La réputation de Pic était-elle du moins méritée ? Inférieur à Politien et à Pulci dans les lettres, à Ficin dans la philosophie, il eut le mérite d’être le premier à étudier les langues orientales, et par là il ouvrit à l’érudition un champ plus étendu. Tout en partageant l’enthousiasme de ses amis pour Platon, il étudia avec passion la littérature juive du moyen âge, la cabale et la magie, et y chercha des argumens en faveur de la foi chrétienne. Aucune des connaissances de son temps ne lui fut étrangère ; seulement on peut lui reprocher de ne s’en être guère approprié que les surfaces et de n’avoir pas approfondi les objets de ses méditations. S’il écrivait très facilement le latin et le grec, il n’avait pas en italien la moindre élégance. Que dire aussi de son jugement ? N’osa-t-il pas préférer aux poèmes de Dante et de Pétrarque les vers de Laurent le Magnifique[1] ! La légèreté de ce verdict n’avait même pas encore pour excuse la reconnaissance que justifièrent plus tard les bienfaits de Laurent.

L’amitié de celui-ci pour Pic de la Mirandole se manifesta d’abord à l’occasion d’une aventure galante (1485). Le jeune comte, en se rendant à Rome, passa par Arezzo avec une suite de vingt-deux personnes. Il avait donné rendez-vous près de la ville à une femme qu’il aimait et qui avait pour mari un préposé à la perception des impôts nommé Julien de Médicis, parent éloigné de Laurent. Cette femme était déjà à cheval derrière le comte quand l’indignation du peuple se traduisit par une agression tumultueuse. Pendant que les cloches sonnaient à toutes volées, il y eut un véritable combat : si quelques citoyens y perdirent la vie, les gens de la suite de Pic furent en partie tués, en partie dévalisés et faits prisonniers. Au milieu de la mêlée, le comte parvint à s’échapper et à gagner Marciano ; mais là il fut arrêté. Sa détention dura plusieurs jours, et il ne dut sa liberté qu’à l’intervention de Laurent. Cette équipée, accidentelle dans la vie de Pic, inspira un sincère repentir à celui qui en fut le héros, et qui a écrit en parlant de lui-même : « Il s’afflige de son péché et il ne prétend pas défendre sa conduite. Peut-être mérite-t-ii son pardon parce qu’il n’invoque aucune excuse. Rien de plus faible que l’homme, rien de plus puissant que l’amour. »

Pic de la Mirandole devait bientôt avoir sur les bras une affaire plus sérieuse. Il avait offert de soutenir publiquement à Rome neuf cents propositions et invité tous les savans à ce « tournoi intellectuel, » promettant aux moins aisés de payer les frais du voyage ; mais quelques-unes de ces propositions parurent suspectes à la cour pontificale, et si le défi n’eut pas de suites, les rapports de

  1. Lettre à Laurent, juillet 1484.