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composé par le scribe Enna pour amuser l’enfance de Séti II. Le manuscrit hiératique sur papyrus qu’en possède le British Muséum est l’exemplaire même qui appartint au jeune prince ; on y lit encore sa légende : « le flabellifère à la gauche du roi, scribe royal, général d’infanterie, fils aîné du roi, Séti Meri-Ptah. » Après les savans essais d’interprétation ou d’exégèse de MM. de Rougé, Goodwin, Lepage-Renouf, Chabas et Brugsch, M. G. Maspero a repris la traduction de ce précieux monument de la littérature pharaonique du XVe siècle avant notre ère : nous nous servirons de sa version, regardée comme à peu près définitive, en notre analyse sommaire. Ce n’est pas sans raison qu’on vient de rappeler le nom de Charles Perrault. Le scribe Enna n’a pas plus inventé que le premier commis de Colbert le conte populaire rédigé par lui en belle prose de lettré. Cette naïve et merveilleuse histoire était sue de tous les paysans d’Égypte ; chacun la racontait naturellement à sa façon, avec force variantes, ainsi qu’il convient pour ces sortes de petits poèmes ondoyans et divers, véritable littérature anonyme. Le conte des Deux Frères n’est pas un roman inventé à plaisir : comme dans Peau-d’Ane ou la Belle au bois dormant, on aperçoit encore le phénomène naturel, le mythe religieux, la légende sacrée, sous la fiction légère et transparente. Dès le commencement de cette étude, on trouve qu’il n’en va pas autrement dans la vallée du Nil que chez les différentes familles slave, germanique, celtique, etc., de la race aryenne : un conte est un mythe transformé dans la conscience populaire ; le héros est encore ou a été un dieu, et ses aventures divines ont été célébrées dans les hymnes religieux d’une ou de plusieurs nations, avant de divertir ou de toucher jusqu’aux larmes les bonnes âmes des petits et des simples.

Il y avait donc une fois deux frères, Anepû et Bataou. L’aîné, Anepû, avait une maison et une femme ; le cadet demeurait chez son frère, tissait les vêtemens, conduisait les bêtes aux champs, labourait, battait le blé et n’avait point son pareil comme fermier sur la terre d’Égypte. Chaque soir, il ramenait les bœufs à la ferme, s’asseyait avec la femme de son frère, buvait, mangeait et se retirait dans l’étable. Le matin, dès que les pains étaient cuits, il les plaçait devant l’aîné ; puis il poussait devant lui les bœufs, qui lui disaient : « L’herbe est bonne en tel endroit. » Il les y menait. Aussi ses bœufs prospérèrent et se multiplièrent beaucoup. Quand survint le temps du labourage, le frère aîné dit : « Prenons nos attelages pour labourer, car la terre est sortie des eaux… Viens aux champs avec les semences. » Les deux frères étaient aux champs et labouraient, fort contens de leur ouvrage, quand l’aîné dépêcha son cadet en lui disant : « Retourne au village et rapporte-nous-en des